Notes de cœur
Teddy Lussi-ModesteJustin Morin
En octobre dernier, Comme des Garçons a inauguré son nouvel espace parisien dédié à la parfumerie. Intitulé Dover Street Parfums Market, en écho à leur premier magasin multimarque lancé en 2004 et localisé dans la rue londonienne du même nom, cette boutique offre une sélection de produits, portés par la même exigence créative propre à la créatrice japonaise. Pour découvrir cet écrin – dessiné par Rei Kawakubo –, Beauté Revue a donné rendez-vous au cinéaste Teddy Lussi-Modeste. Réalisateur des longs-métrages Jimmy Rivière (2011) et Le Prix du succès (2017), il est un amateur éclairé de créations olfactives. Il nous raconte son rapport au parfum, retrouve certaines fragrances déjà familières et découvre avec enthousiasme les marques proposées, en se laissant guider par l’équipe du Dover Street Parfums Market, dont l’érudition et la sensibilité parachèvent cette approche singulière de la parfumerie.
D.S. & DURGA
J’aime beaucoup ce que fait cette marque américaine. Elle n’est pas très connue en France mais elle rencontre un vrai succès aux États-Unis. Je trouve ces parfums beaux et bien construits, radicaux aussi. Le duo derrière cette marque fait un travail magnifique et utilise de belles matières. Dans cette gamme, on retrouve notamment ce parfum qui s’appelle Amber Teutonic dont le jus vert émeraude est assez excitant. C’est un nom presque oxymorique : « Amber », c’est l’Orient, « Teutonic », c’est les Barbares des régions froides de l’Europe.
Les odeurs ont toujours été importantes pour moi mais ma passion pour le parfum est relativement récente. Elle a débuté il y a quelques années avec la découverte d’un parfum de Mona di Orio que je porte encore aujourd’hui : Cuir. Quand je l’ai essayé, je ne pouvais pas m’arrêter de revenir à mon poignet et l’odeur est restée longtemps au bout de ma manche. Ce parfum qui sent le cuir, la fumée, l’absinthe, a ouvert quelque chose pour moi. De la même manière que la découverte de Smells Like Teen Spirit de Nirvana quand j’étais adolescent m’a conduit au death metal – je suis le seul Gitan de France à avoir écouté du death – je crois que ce parfum m’a donné envie de découvrir d’autres parfums aussi forts. Depuis Cuir, je suis toujours en quête d’un nouveau parfum, du parfum ultime. Je ne le trouverai certainement jamais ce qui fait que ma collection s’agrandit et perd peut-être en cohérence. C’est un peu triste car ces flacons ne seront jamais totalement vides. Je commence à les donner. Ça me plaît d’accompagner les gens que j’aime de cette manière.
COMME DES GARÇONS PARFUMS
Ce que j’aime avec cette marque, c’est la force de ses propositions. Même leurs anciens titres restent contemporains. Ce sont des contemporains atemporels. Et puis la marque a l’élégance de ne pas assommer ses clients. La parfumerie dite « de niche » peut avoir tendance à gonfler ses prix de façon injustifiée. Les propositions de Comme des Garçons Parfums vont loin et sont très variées. L’eau de cologne Vettiveru 2 est très réussie. Je ne connais pas la série des Clash, qui a pour principe de marier deux ingrédients opposés. Il y a donc Celluloid/Galbanum, Chlorophyll/Gardenia, et Vetiver/Radis. (Un conseiller de la boutique tend une touche de papier cartonné vaporisée de cette dernière combinaison). C’est très marrant, j’aime beaucoup, le vétiver y est racineux, et pas du tout émoussé par des notes hespéridées. C’est marrant mais ça ne devient pas une blague. Personnellement, je n’ai pas envie de porter une blague. Il y a également cette nouveauté que j’aimerais découvrir : Odeur du Théâtre du Châtelet, Acte I. (Une nouvelle touche est tendue). Il y a une odeur de poivre noir, de vanille, de café également. C’est léger, c’est intéressant. J’aimerais également sentir Copper que je ne connais pas. (Un troisième morceau de papier lui est adressé, il fait passer les échantillons sous son nez). C’est très vert, cuivré, j’y sens des notes de poivre rose et de galbanum. C’est dense. J’aime bien la densité quand elle ne fait pas mal au nez. Rien de plus pénible que ces notes qui hurlent au nez dans les masculins et qui sont souvent des bois ambrés.
Dans le rapport au parfum, il y a deux options : soit on est fidèle à une fragrance et on s’y tient, soit on est volage et on n’hésite pas à changer. J’appartiens à cette seconde famille. Je réfléchis à l’impact que j’ai envie de créer à l’aide du parfum que je vais porter, en fonction du jour, de ma tenue, de l’occasion. Je suis dans une réflexion à court terme. Je change fréquemment de parfum et je pense que c’est lié à ma cyclothymie. C’est cette même cyclothymie qui provoque chez moi une phase maniaque qui se concrétise par l’achat d’un parfum, voire de deux… Je ne sais pas pourquoi ça s’est fixé sur le parfum. Un ami m’a un jour demandé ce que j’avais à cacher. Lorsque j’étais enfant, il y avait dans mon entourage quelqu’un qui sentait très mauvais. Ce fut une grande douleur pour moi car j’aimais vraiment cette personne. C’est terrible quand l’amour et la honte se mêlent. Pendant longtemps, je suis allé vers les parfums propres, les parfums « nettoyage à sec ». J’ai par exemple longtemps porté Standard de Comme Des Garçons. C’est un parfum métallique, citronné, boisé sec.
THOM BROWNE
Je suis curieux de sentir cette collection que je ne connais pas ! (On nous explique que, pour sa première collection de parfums, destinée aussi bien aux hommes qu’aux femmes, le créateur de mode Thom Browne s’est concentré sur une déclinaison de vétiver : Vetyver Absolute, Vetyver and Cucumber, Vetyver and Grapefruit, Vetyver and Rose, Vetyver and Wiskey et Vetyver and Smoke. Appliqué, notre invité sent les six fragrances). Ma préférence va à l’alliance vétiver et whisky bourbon, elle me plaît beaucoup.
J’ai évolué olfactivement. Après les « parfums propres », je suis désormais attiré par les parfums dont on dit qu’ils ont des notes animales, des senteurs qui peuvent être dérangeantes, voire des parfums qui puent. Un ami vient de m’offrir un parfum que je voulais depuis longtemps : Oudh Infini de Dusita. La fragrance contient une dose culottée de civette (la civette étant sécrétée par les glandes périanales du petit animal du même nom). Aujourd’hui, cette substance est recomposée de façon synthétique, hormis pour quelques parfums qui viennent d’endroits qui échappent aux normes européennes. C’est notamment le cas de deux maisons sur lesquelles il y a une hype depuis quelques années : Areej Le Doré – dont le nez est un Russe converti à l’islam vivant en Thaïlande – et son camarade Bortnikoff. La civette, quand elle n’est pas distillée, dégage une odeur fécale. Une fois transformée et associée, elle apporte de la rondeur. Dans le parfum qu’on m’a offert et qui est pour moi une de mes plus belles pièces, les notes fécales sont très proéminentes. J’ai reçu ce cadeau il y a quelques mois et je ne l’ai porté que trois fois. Le porter relève pour moi de l’exercice, de l’ascèse. Pour le mettre, il faut se sentir fort et dépasser sa honte. Ou alors il faut convertir sa honte en jouissance.
ORIZA L. LEGRAND
J’aime beaucoup cette marque, je possède Horizon et Rêve d’Ossian. C’est une maison qui a été fondée sous Louis XV et qui a été reprise il y a quelques années. Il y a un côté très vintage dans ces créations magnifiques. Horizon est un patchouli ambré qui est très beau, très réconfortant. Rêve d’Ossian est certainement leur parfum le plus connu. Je découvre ici Secret Joly. (Teddy hume la touche imbibée). Ça sent la mer au loin : il y a des notes iodées, ozoniques, des embruns, mais aussi de la crème solaire. Les noms sont si beaux. J’aime Relique d’amour qui présente une petite médaille de la Sainte Vierge sur l’étiquette du flacon. Ça sent l’église, l’encens, le lys, la pierre humide.
Le parfum n’a pas de genre pour moi. Je peux porter une tubéreuse en soliflore. Ça ne me gêne pas du tout. Je n’ai aucun doute sur ma masculinité. Je peux avoir des problèmes avec les parfums dits gourmands mais ça n’a rien à voir avec le genre.
ROBERT PIGUET
(Une étagère du Dover Street Parfums Market propose une sélection de classiques, issus de différentes marques et époques. Parmi ceux-ci, on trouve Pour un homme de Caron, Vetiver de Carven, L’Air du Temps de Nina Ricci ou encore Fracas de Robert Piguet. Teddy Lussi-Modeste s’arrête sur ce dernier). Fracas est justement le genre de tubéreuse que je viens d’évoquer et que je peux tout à fait aimer. Il a été créé en 1948, c’était notamment le parfum de Greta Garbo. Béatrice Dalle l’a également porté. (Le réalisateur a tourné avec l’actrice à l’occasion de Jimmy Rivière).
Chez moi, j’ai une centaine de flacons. Ils sont rangés devant mes livres, ce sont les choses qui sont les plus importantes à mes yeux. Je les range par créateur ou par marque. De la même manière que ma bibliothèque est rangée par auteur, j’organise mes parfums par nez. Il y a le coin Dominique Ropion, le coin Bertrand Duchaufour, le coin Olivia Giacobetti, le coin Mona di Orio, le coin Francis Kurkdjian. Les créations de ce dernier sont très importantes pour moi. Il a notamment créé un parfum qui s’appelle Absolu pour le soir, une fragrance très animale, très sexuelle. Bizarrement, c’est un parfum que j’arrive à porter le matin alors qu’il est très nocturne. J’ai eu l’occasion d’en discuter avec Francis Kurkdjian et il m’a rétorqué qu’il n’était pas surpris car il existe des personnes qui peuvent mettre des pantalons en cuir dès le matin.
BOTTEGA VENETA
Je ne connais pas cette collection et elle me rend curieux. (Notre conseiller nous explique que la collection est inspirée du Parco Palladiano, nom de la gamme, qui se situe aux côtés des locaux de Bottega Veneta. Tous les ingrédients de ces parfums se trouvent dans ce parc. Uniforme, chaque fragrance révèle des notes spécifiques, renseignées par leur nom – Magnolia, Violetta, Pera, Azalea, etc. Le réalisateur enchaîne les touches et apprécie les nuances). Olivo est atypique, c’est très joli. Castagno (chataîgne) est aussi très étonnant.
Ce qui m’intéresse dans le parfum, c’est lorsqu’il devient une odeur qui fusionne avec celle de la personne qui le porte. Je n’aime pas lorsqu’il reste plaqué. C’est sans doute pour cela que je vais vers des senteurs animales car elles vont révéler des choses que la peau sécrète. Il y a des notes animales qui me plaisent et d’autres qui me bloquent. C’est le cas du costus. Je ne sais pas si on peut vraiment la classer dans cette catégorie car le costus est une racine végétale utilisée pour ses notes animales. Mais c’est un ingrédient quime gêne car il me rappelle l’odeur des cheveux gras.
GUCCI
J’ai très envie de découvrir le nouveau concept de parfums de Gucci dont j’ai entendu parler par mes lectures. Car j’aime lire sur les parfums, je suis aux aguets des nouveautés, je recherche les informations. (Au sous-sol de la boutique, parmi une sélection de produits de beauté et maquillage se cache la colonne dédiée à la marque italienne. Intitulée The Alchemist’s Garden, la collection a été créée par Alberto Morillas, sous la direction créative d’Alessandro Michele. Comme son nom le suggère, ce jardin d’alchimiste explore l’idée du « layering » : sept eaux de toilette, quatre huiles parfumées et trois « acqua profumate » (eaux parfumées) peuvent être utilisées séparément ou en superposition, permettant ainsi d’innombrables combinaisons pour une fragrance personnalisée). C’est très intéressant comme approche. (Teddy soulève les différentes cloches de verre qui abritent les senteurs). J’aime beaucoup l’huile A Nocturnal Whisper, ainsi que l’eau de parfum The Voice of the Snake. C’est un oud qui est très bien travaillé avec quelques notes fruitées.
Convoquer le parfum dans le cinéma est difficile. Il y a quelques années, John Waters avait accompagné la sortie de son film Polyester de cartes à gratter. Les spectateurs découvraient des odeurs en reniflant des cases. Waters réservait quelques surprises typiques de son humour : on voyait à l’écran des roses et la carte sentait la crotte parce qu’à l’image, il y avait une crotte derrière les roses. Ce n’est pas simple de faire passer l’idée de l’odeur. Mais il y a un rapport au parfum dans le prochain film que je suis actuellement en train d’écrire avec Audrey Diwan. Il y a une scène où une femme renverse un flacon de parfum. Il s’agit de Mouchoir de Monsieur de Guerlain. Si j’ai choisi cette fragrance, c’est parce qu’il y a quelque chose de social qui se joue avec mon personnage dans l’emploi de ce parfum-là. Dans l’écriture, ce qui me donne envie de développer certaines situations, ce peut être aussi quelque chose d’olfactif.
Photographe: Maude Remy-Lonvis
au Dover Street Parfums Market
11 bis Rue Elzevir, 75003 Paris
En ce sens, le parfum est une immense source d’inspiration. Je me rappelle une didascalie qu’on avait écrite pour décrire l’ambiance d’une scène qui se passe devant une boîte de nuit alors que les clients font la queue pour entrer : « Ça sent le cuir, le jean et les parfums forts ». Ce genre de phrase qui serait condamnée par tous les manuels de scénario en dit plus qu’une description uniquement visuelle.
Propos recueillis par Justin Morin.
Explorer Revue
La science des odeurs
Sissel TolaasPhilippa Nesbitt
Le travail de Sissel Tolaas trouve sa source dans la recherche et l’enseignement et chevauche l’art et la science pour repenser notre manière de concevoir les odeurs. Elle a enregistré et reproduit l’odeur des villes, des océans, des individus — en d’autres termes de la vie du niveau micro au niveau macro. Ses installations ont été exposées partout dans le monde dans de multiples institutions tels que le Musée d’art moderne de Tokyo, le MoMA, la Galerie nationale de Singapour, le Centre Pompidou, la Biennale de Kochi-Muziris et la biennale de Venise. À travers ses différents projets, elle cherche à bousculer les préjugés qui dictent nos réactions aux odeurs. Sa recherche, d’une complexité délibérée, met en œuvre des méthodes inspirées de ses diverses expériences. Pour Sissel Tolaas, aucun thème ne reste inexploré, aucune odeur n’est interdite.
Philippa Nesbitt Votre travail porte sur l’intangible, il est donc assez difficile de le dépeindre avec des mots. Comment le définiriez-vous ?
Sissel Tolaas Toute ma vie j’ai été animée par une curiosité infinie et irrésistible pour l’invisible. Comment comprendre l’invisible ? Comment potentiellement rendre visible l’invisible ? Mener différentes opérations entre le possible et l’impossible, les entre-deux, est devenu mon quotidien. Je me définis comme une professionnelle de l’entre-deux. Je viens de la chimie organique, de la linguistique et des arts visuels. Au départ, je ne savais ni où j’allais ni dans quelle réalité je me retrouverais.
Tout ce que je savais c’est que j’avais besoin d’air pour rester en vie.
L’air est devenu le centre de mes préoccupations et, puisque chaque nano partie de l’atmosphère contient des molécules odorantes, j’ai fait de l’odeur mon sujet de recherche. Entre 1990 et 1997, j’ai constitué un répertoire considérable à partir d’odeurs réelles. Il consiste en 6730 sources et traite divers thèmes tels que « Odeur et préjugés », « Odeur et souvenir », « Odeur et langage » ou « Odeur et tolérance ».
La présence sur les lieux représente la moitié de mon travail — le travail sur le terrain est essentiel. Je recueille et j’enregistre les odeurs qui m’intéressent. Chaque matin, je me réveille en me disant : « Je respire ! Ça veut dire que je peux travailler. » À chaque inspiration, j’inhale des molécules d’odeur. J’inspire jusqu’à 24000 fois par jour et je déplace 12,7 mètres cubes d’air. Tant qu’il y a une planète à sentir et des habitants à qui apprendre à sentir, je ne m’arrêterai pas.
Depuis 2004, mon Smell Re_searchLab est financé par l’IFF [L’International Flavors & Fragrances Inc]. Grâce à cette aide, j’ai accès à une grande partie des recherches en chimie et en technologie des odeurs. Je possède des outils qui me permettent de recueillir les molécules émises par les sources odorantes. Au moyen de l’analyse chimique, les chimistes en laboratoire décomposent les échantillons recueillis pour en tirer des molécules individuelles identifiables. À partir de ces données, je suis en mesure de reproduire chimiquement l’odeur à l’infini pour atteindre divers objectifs. Chaque échantillon rejoindra ensuite une base de données de molécules dans de vastes archives qui englobent différents thèmes centraux : City SmellScape ; Body SmellScape; Ocean SmellScape (paysage d’odeur de ville, paysage d’odeur de corps, paysage d’odeur d’océan). Ces catégories principales se subdivisent ensuite en sous-catégories : ségrégation, tolérance, pollution, peur, biodiversité, navigation, éducation etc.
La plupart de mes projets s’intéressent au reboot sensoriel, invitant le public à sortir de sa zone de confort et à mettre sa perception à l’épreuve.
Philippa Nesbitt Pouvez-vous m’en dire davantage sur vos archives de données linguistiques ?
Sissel Tolaas Le plus souvent, nous parlons d’odeurs en termes métaphoriques : ça sent comme ci, ça sent comme ça. La majorité des articles scientifiques qui traitent des odeurs et du langage sont rédigés par des hommes, blancs. Rares sont ceux qui se sont rendus sur le terrain pour travailler à partir de langues possédant moins de locuteurs et là où l’odeur est inhérente à la vie quotidienne. Non seulement j’enregistre, reproduis et amplifie les odeurs réelles, mais au fil des ans, j’essaie de trouver des moyens de les communiquer et d’exprimer dans différentes langues leur processus d’inhalation.
J’ai mis au point une méthodologie qui me permet de générer un langage en fonction de la situation que je rencontre. L’odeur est immédiate — on sent quelque chose puis une réaction dans le cerveau provoque des émotions et fait ressurgir des souvenirs — la réflexivité de ce processus sous forme de mots semble complexe. Les odeurs enregistrées et reproduites sont ensuite présentées au public dont on enregistre, analyse et évalue les réactions verbales. Les divers enregistrements d’un même échantillon sont ensuite comparés et servent de base à un mot construit ou à des termes abstraits. Nommer les couleurs est également abstrait. Que signifient vert, jaune et rouge ? Différents phénomènes, émotions et teintes sont codés dans le langage. J’espère qu’un jour nous coderons les odeurs de la même façon.
Image de Mathilde Roussel & Matthieu Raffard.
J’ai inventé le Nasalo Lexicon (lexique nasal) comme système de codification pour les besoins de la communication au moyen de molécules d’odeur et de structures odorantes complexes. La recherche est un projet en cours. J’enregistre des gens décrivant une même odeur en un mot ou en un son. Ces expressions abstraites sont ensuite analysées et comparées. Puis chaque terme vient enrichir le Nasalo Lexicon. Cette base de données comporte sa propre logique et ses propres règles linguistiques. Chaque terme a sa propre racine non-dérivée, non-métaphorique, non-métonymique avec des fonctions attributives et prédicatives. En 2019, le Nasalo Lexicon compte 3710 mots et termes.
Philippa Nesbitt Comment les utilisez-vous par la suite ?
Sissel Tolaas J’utilise le lexique au quotidien. J’anime beaucoup d’ateliers pédagogiques et je travaille très souvent avec des enfants. Ils n’ont pas de préjugés et sont souvent très créatifs ; leur capacité à rationaliser n’est pas encore entièrement développée, ils tendent à être beaucoup plus spontanés dans leurs réactions aux odeurs et les résultats sont incroyables ! J’applique ensuite la même méthodologie aux adultes.
Philippa Nesbitt J’ai l’impression qu’on n’associe pas souvent les odeurs au langage, que nos cinq sens ne sont peut-être pas vraiment connectés les uns aux autres.
Sissel Tolaas Notre société et notre culture sont traditionnellement dominées par le visuel. Cependant, la vue nous tient à distance des objets. Nous cadrons des « vues » pour les photos avec les objectifs des appareils photo ; la probabilité d’une réaction intellectuelle est considérable. Par contraste, nous sommes entourés d’odeurs ; elles pénètrent le corps et imprègnent l’environnement immédiat. Nos réactions sont donc bien plus susceptibles de faire intervenir de fortes émotions et d’être retenues plus longtemps.
Nous utilisons les odeurs constamment, consciemment ou inconsciemment, pour communiquer au milieu des plantes, des animaux et des êtres humains.
Philippa Nesbitt À partie de cette idée d’éducation, d’entraînement aux odeurs ou d’enseignement, comment travaillez-vous pour vous détacher des préjugés que nous avons envers des senteurs particulières ?
Sissel Tolaas Nous naissons neutres. Les êtres humains, les cafards et les rats sont les plus grands érudits de la planète. Le nez était, et demeure, un moyen de trouver de la nourriture et des partenaires. Cela semble simple, mais la réalité est différente. Les systèmes sanitaires et les surfaces aseptisées et brillantes sont devenus la norme, en concordance avec notre manière de juger le monde. Il n’existe pas de gène pour nous dire ce qui est bon ou mauvais. On se déodorise et on désinfecte nos environnements à tel point que ça n’en devient bon ni pour nos corps ni pour la planète, et bien au-delà.
J’étais moi aussi pleine de préjugés et j’étais très curieuse de voir si je pouvais m’en débarrasser. La première fois que nous sentons quelque chose, nous créons une référence que nous conservons jusqu’à la fin de notre vie. Cette expérience, chargée d’émotions positives ou négatives influencera notre relation à cette odeur. C’est à ce niveau-là que nous avons besoin d’aide, d’une « détox d’odeurs » et d’une « rééducation aux odeurs ». On rééduque d’autres déficits alors pourquoi pas l’odorat ? J’ai donc utilisé les données scientifiques auxquelles j’ai pu avoir accès, j’ai réalisé le test sur moi-même, puis nous avons pu développer une méthodologie qui fonctionne : je me suis libérée des préjugés et je crois pouvoir dire que suis l’une des « senteuses » les plus tolérantes au monde.
Philippa Nesbitt On retrouve souvent dans vos travaux l’idée que nous considérons notre contexte, tant moral qu’éthique, en termes d’odeur. Selon moi, c’est très important, parce qu’au quotidien nous ne pensons pas l’odeur comme nous percevons nos autres sens.
Image de Mathilde Roussel & Matthieu Raffard.
Sissel Tolaas Exactement. L’un de mes premiers critères, c’est d’aller au-delà de la hiérarchie des odeurs. J’ai par exemple réalisé une étude de terrain dans un bidonville de New Delhi où les odeurs vous pénètrent avant que vous ne pénétriez l’environnement où elles se trouvent. Certains auraient pu faire demi-tour, mais pour moi, c’était le début de l’expérience. C’est incroyable de découvrir à quel point nous pouvons gagner en tolérance et agir par la suite pour permettre aux autres d’évoluer.
Aujourd’hui la politique des odeurs est plus forte que jamais.
Philippa Nesbitt Dans les paysages urbains que vous avez recréés, vous avez évité les clichés des odeurs qu’une ville peut évoquer et vous vous êtes au contraire intéressée à ce que vous appelez les réalités invisibles de la ville. Quels espaces ou quels aspects approchez-vous pour capturer les odeurs urbaines et comment développez-vous le concept d’odeur d’une ville ?
Sissel Tolaas Cela dépend vraiment des thèmes étudiés. Ils peuvent aller de la pollution ou de la ségrégation à l’identité et à la justice. En ce qui concerne la recherche, je sélectionne des zones ou des quartiers et je décide quelles odeurs représentent quel contenu.
Je marche le matin, à la mi-journée, la nuit, sans arrêt, parfois à plusieurs reprises et à différentes saisons. Au cours de cette phase de pré-recherche, je décide si j’ai besoin de mes appareils d’enregistrement ou si je peux simplement rapporter la source odorante au laboratoire pour l’analyser. Je pratique ensuite des analyses et je décompose chaque source en molécules individuelles. Elles sont répliquées et reconstruites au plus proche de l’original. Les odeurs imitées sont ensuite proposées dans divers dispositifs interactifs. Le rapport au site de départ est toujours inclus, il agit comme une extension du dispositif. Il est toujours très important de faire l’expérience du réel.
Philippa Nesbitt J’aime beaucoup cette idée d’abject si présente dans vos travaux. L’idée de ne pas considérer l’abject seulement en termes de matière corporelle comme la sueur, mais aussi dans son rapport à certains environnements. Qu’est-ce qui vous donne envie d’enquêter sur ce sujet et de cette manière-là ?
Sissel Tolaas Tout est question d’honnêteté, rien n’est plus honnête qu’une odeur ; comme je l’ai dit plus tôt, les odeurs viennent à moi et sont si prégnantes que je n’ai pas le choix. Je suis lassée des surfaces. Quand on creuse, on rencontre des obstacles mais les obstacles me stimulent. Ce qui me motive, c’est d’aller au-delà de mes compétences et de ma force. J’ai les outils, les connaissances, j’ai montré au monde que j’ose faire les choses autrement, alors on m’engage souvent pour me rendre dans des zones extrêmes, explorer de nouveaux territoires et étudier des sujets complexes. Je refuse rarement. Quand on veut on peut. Si je ne peux pas être présente sur le terrain, je ne le fais pas. Si quelqu’un me disait : « Sissel, peux-tu reproduire l’odeur de Mars ? », je dirais non. Ce serait trop spéculer. J’en ai assez de la spéculation. Aujourd’hui, je m’intéresse à de nombreux sujets qui traitent de la réalité. Nous devons le faire avant de spéculer, sinon nous allons nous retrouver prisonniers d’une esthétique utopique de zombies dépourvus d’émotions.
Philippa Nesbitt Vous vous intéressez souvent au rapport entre odeur et identité. Qu’avez-vous découvert de la manière dont nous sommes enclins à apprécier une odeur, même si nous ne la penserions pas agréable, à cause de nos préjugés sociaux ?
Sissel Tolaas Je décontextualise de multiples réalités invisibles. Le caractère abstrait d’une odeur in situ est essentiel dans tous mes travaux parce que c’est la seule manière dont le « senteur » est ouvert et accessible à l’information qu’elle fournit. Le défi, c’est de sortir de notre zone de confort qui consiste à en avoir trop pour traiter une odeur seule. Nous vivons dans un monde d’hyperstimulation sensorielle et nos sens sont tristes, et complètement confus.
Image de Mathilde Roussel & Matthieu Raffard.
Les odeurs sont exposées dans un environnement « sûr » — une galerie, un musée, une université — loin de leurs contextes d’origine. Disons que le thème est le corps et la peur : les odeurs reproduites des hommes anxieux sont logées dans la surface des murs. Les murs deviennent une métaphore de la peau. La seule façon d’activer l’odorat est de toucher le mur.
Les odeurs sont une composante essentielle qui permet à chacun de se comprendre et de comprendre l’environnement. Je mets le public au défi d’utiliser son nez et je lui apporte de nouvelles méthodes et de nouveaux moyens de comprendre et d’approcher divers thèmes importants qui le concernent. Il y a un côté ludique dans la découverte du monde à l’aide des odeurs. L’expérience et l’apprentissage dans un contexte joyeux a presque disparu du monde sérieux aux problèmes sérieux dans lequel nous vivons. Apprendre dans un contexte d’émotion est essentiel pour que l’apprentissage soit efficace et modifie nos comportements. Rien n’empeste, mais notre intellect nous pousse à le penser.
L’aventure intérieure
Pamela Rosenkranz
Lors d’un récent voyage aux États-Unis, alors que je cherchais à acheter une bouteille d’eau dans un supermarché, je me suis retrouvé face à une variété impressionnante de produits dont les terminologies m’ont dérouté : « purified water », « vapor distilled water and electrolytes for taste », « alkaline water », « ionized alkaline bottled water », « electrolyte infused for smooth taste pH 9.5 or higher », etc. La technicité affichée sur les étiquettes, démultipliée par le gigantisme des rayonnages américains, m’a laissé coi. Au-delà de l’exotisme de ces produits américains, ces centaines de bouteilles m’ont marqué par les contradictions qu’elles portent en elles. Il y a bien évidemment les préoccupations écologiques, de plus en plus évidentes, mais également la dichotomie entre la qualité élémentaire de l’eau – sa nature hydratante – et une ressource naturelle dopée aux valeurs ajoutées – ceux-ci concernant autant le branding que les additifs. Ce choc m’a rappelé la complexité et l’intrigante beauté des œuvres de Pamela Rosenkranz. L’artiste Suisse a été découverte au tournant des années 2010 avec ces installations utilisant des bouteilles d’eau remplies de liquide aux teintes beiges rosées, ouvrant une réflexion qui puise autant dans l’histoire de la peinture que dans la science, ou encore dans la cosmétologie ou la philosophie.
Parfaite synthèse de ses recherches, l’installation Our Product, développée en 2015 pour le Pavillon Suisse dans le cadre de la Biennale d’Art Contemporain de Venise est à la fois une proposition picturale et une expérience sensorielle. Le visiteur pénètre dans un espace perméable à la nature environnante (insectes, feuilles d’arbres et autres brindilles des Giardini) immergé dans une ambiance chromatique verte produite par des murs peints et des jeux de lumière. On pense déjà aux œuvres de Dan Flavin ou de James Turrell, connus pour leur utilisation de la lumière dans la perception de l’espace, des œuvres « à vivre » puisqu’elles engagent littéralement les corps et les sensations des regardeurs. À l’intérieur de l’édifice, les murs blancs deviennent les contours d’une immense piscine remplie d’un liquide rose. Sa surface brillante est perturbée par des vaguelettes générées artificiellement, sur laquelle se torde les reflets des néons éclairant la pièce. Opaque, ce monochrome a été créé en fonction de la couleur moyenne de la peau des personnes originaires d’Europe centrale. Épurée en apparence, l’installation atmosphérique est riche d’éléments intangibles. Ainsi, « Heather », une voix artificielle et informatique à laquelle l’artiste a déjà fait recours dans de précédentes expositions, récite un à un chaque composant utilisé dans la création de cet tapis aqueux. Quelques exemples : Abeen, Celinor, Clodium, Europiome, Genaeta, Imersa, Meteris, Neotene, Querms, Sorbasol, Veletite, Wivium… L’ensemble forme un poème abstrait aux consonances scientifiques. Si la plupart de ces mots nous semble familiers, ils ont pourtant été inventés par Rosenkranz afin de désigner des états orphelins, à savoir des choses que l’on peut voir, sentir, ou entendre mais qui restent aujourd’hui encore sans vocabulaire attribué. Pour l’artiste Suisse, les éléments dits « immatériels », comme la lumière, le son ou la couleur ont une existence physique à laquelle nous nous confrontons immédiatement. Il s’agit pour elle d’identifier ce qui « est » mais n’est pas considéré, et ainsi mieux comprendre le monde qui nous entoure. Pour en revenir à cette liste de mots, et plus particulièrement à cette pratique empruntée au marketing que l’on appelle « naming » – qui consiste à optimiser la résonance entre le consommateur et le produit grâce à son appellation – , Rosenkranz constate qu’il est aujourd’hui commun d’utiliser des termes techniques pour vendre ; un phénomène qui touche aussi bien la cosmétologie, l’informatique que… l’eau. Il est intéressant de noter que ces trois domaines touchent à la surface : la peau d’un visage, l’écran d’un ordinateur ou d’un téléphone, la transparence d’une source aquatique. Paradoxalement, même si le langage des experts reste opaque pour les néophytes, il rassure, il est signe de maîtrise technique, et tant pis si tout cela n’est que narration.
Pamela Rosenkranz, Our Product, vue d’exposition, Pavillon Suisse à la 56e Biennale de Venise, 2015.
COMMENT AGIT L’ATTRACTION?
Pour autant, Our Product ne se contente pas du trouble opéré par ce jeu de vocabulaire fictif. L’installation bénéficie d’une fragrance mise au point par les parfumeurs Frédéric Malle, tête pensante du secteur, et Dominique Ropion, nez aux créations iconiques. L’idée était ici de diffuser à travers le pavillon une senteur proche d’une peau fraîche de bébé. Pour se faire, parmi les ingrédients, ont notamment été utilisées des phéromonesanimales. On retrouve là la volonté de Rosenkranz de décoder les structureset de pénétrer dans la surface pour voir, à une autre échelle, ce qui compose. Elle utilise le même procédé en 2017, à la Fondation Prada de Milan, où elle met en place un imposant monticule de sable qui remplit l’espace d’exposition. Intitulée Infection, l’installation est éclairée d’une lumière LED verte et diffuse de manière imperceptible un parfum synthétique de phéromones de chats. Cette odeur active une réaction biologiquement déterminée d’attraction ou de répulsion, selon que le spectateur est affecté ou non par le parasite neuroactif de la toxoplasmose. La toxoplasmose est une infection parasitaire qui touche les animaux à sang chaud, y compris l’être humain. Elle est jugée asymptomatique dans l’immense majorité des cas, ne présentant un risque sérieux que pour les femmes enceintes ou les sujets ayant un système immunitaire affaibli. Il a été établi que le parasite est capable de modifier la connectivité des centres du plaisir et de la peur. Ainsi chez le rat, la toxoplasmose abolit l’aversion du rongeur envers son prédateur, le chat, pour la remplacer par une attirance fatale. La maladie est présente partout dans le monde, et on estime qu’un tiers de la population mondiale est porteur de Toxoplasma Gondii. Si elle est bénigne, elle n’en est pour autant pas exempte de conséquence. Aussi, il est intéressant de se plonger dans l’histoire de la parfumerie : pendant plus de deux mille ans, la civette, animal au croisement du renard et du chat, a été utilisée. Elle a été élevée en captivité pour pouvoir extraire une substance, également appelée civette, qui apporte, après dissolution, rondeur et sensualité aux fragrances. Aujourd’hui synthétisésous le nom de Civetone, il se retrouve dans de nombreux parfums, de Chanel n°5 à Obsession de Calvin Klein, mais aussi dans des produits ménagers. Ces informations, qui peuvent sembler anecdotiques mais dont les liens de causalité sont évidents, constituent les terrains de recherche des neurosciences, domaine qui traverse l’ensemble de la pratique de Pamela Rosenkranz.
UNE OEUVRE PLASTIQUE
C’est en 2009 que l’artiste débute sa série Firm Being : des bouteilles en plastique de différentes marques d’eau minérale remplies d’un liquide à la teinte rose. La carnation y est déjà à la fois couleur et désirabilité. Or, depuis la Renaissance et ses techniques de peinture, on sait que la peau n’est pas monochrome. Elle n’est ni marron, jaune, rose ou noire, mais un canevas composé de plusieurs nuances. Pourtant, les images publicitaires font un usage poussé des techniques de retouche pour obtenir des peaux lisses et homogènes, standards auxquels le public cherche à se conformer. L’uniformité est une valeur aussi rassurante que fictive. Et puisque Pamela Rosenkranz nourrit également sa réflexion de l’histoire de l’art, il est important de rappeler l’importance du monochrome dans la peinture. Elle a souvent cité Yves Klein et son célèbre bleu. Les peintures abstraites de la Suissesse ne sont pas sans rappelerles anthropométries du Français. Toutefois, pour Rosenkranz, la peau n’est pas une enveloppe qui contient notre moi physique, mais une membrane par laquelle le corps montre. Elle révèle et connecte au monde extérieur. Tout comme ses bouteilles de plastique indiquent leur provenance. Dans le catalogue de Our Product, l’artiste explique à quel point, lors de ses recherches, la vision de ces centaines de bouteilles dans les canaux de Venise l’a interpellé : « provenant du monde entier, que ce soit de Nouvelle Zélande (Kiwaii), France (Evian), Croatie (Jana), Maroc (Ciel), USA (Poland Spring), UK (Smart Water), Chine (Wahaha) et ainsi de suite, chacune de ses bouteilles porte les traces génétiques de la personne qui l’a consommé. En utilisant les microbiotes trouvés dans la salive, nous pourrions tracerles trajets de ces visiteurs avec un test génétique ». Un peu plus loin, la curatrice Susanne Pfeffer, avec laquelle elle s’entretient, dit ceci : « La distinction entre « organique » et « synthétique » ne peut plus être si facilement être appliquée aux gens, puisque beaucoup d’entre nous sont devenus des « cyborgs », à force de substances synthétiques ou de plastique infiltré dans le corps. Peut-être que la question peut être encore plus radicalisé en se demandant, par exemple, si le plastique en lui-même est synthétique, puisqu’il est extrait du pétroleet donc de la nature ». Organique / synthétique, rose / vert, plastique / chair, science /philosophie, Pamela Rosenkranz fait se rejoindre ce qui est dit comme étant opposé, et questionne ainsi l’ordre des choses dans un geste plastique aussi ample que beau.
Texte de Justin Morin
Pamela Rosenkranz, Firm Being (Drop Up), 2016.
Bouteille en plastique, silicone, pigments, plexiglas et piédestal, 32,4 × 8,9 × 8,9 cm. © Pamela Rosenkranz
Avec l’aimable autorisation del’artiste et de Sprüth Magers.
Photo : Gunnar Meier.
Explorer Revue
Hauts de France
Hauts de France est un projet de Robin Galiegue, une collection de portraits de majorettes, mettant en lumières ces époques qui se chevauchent. Ses photographies prennent le pouls d’une société qui ne cesse de muter, capturant a la fois l’histoire d’une ville et la fierté de ses habitants.
Cent soixante
Julie Ménard
Les évènements capturés ici se sont déroulés au cours de ces derniers mois. Au 160 rue de Paris. À Montreuil. Toute personne qui se reconnaîtrait… aurait ses raisons.
SCÈNE 1
Au premier étage
Cuisine sur cour
Lumière jour
Gipsy | Hugo
Alors on trinque à toi | Oui, je suis content | On est tous très contents, pour toi | Moi aussi, je suis content pour moi | Tu peux | C’est un tournant, c’est retourner à la lumière | Oui ça y est | J’ai mis du temps, j’ai pris mon temps, mais ça y est, je vais commencer à vivre. À trente-cinq ans. | Je suis tellement heureuse | Elle t’a dit depuis combien de temps j’étais enfermé ? | Iris ? Non, elle ne m’a pas dit | Cinq ans, ça fera cinq ans, demain. | Tu es resté cinq ans dans ton appartement ? | Oui. Enfermé à double tour par mes soins. | Et tu ne voyais personne ? | Personne… |Et c’est quand ta rentrée alors ? | La formation débute en septembre. | Tu sais que j’ai un copain qui est tailleur de pierre ? | C’est vrai ? | Oui, il s’appelle Pierre. C’est vraiment un beau métier. | Je pense que ça va me plaire. | Il m’a appris que sur les cathédrales, plus on monte et plus la taille est fine et détaillée. C’est drôle parce que c’est justement un endroit où le commun des mortels n’a pas accès. Cette beauté est réservée à Dieu. | Et aux tailleurs de pierre. | Exactement. Il m’a emmenée une fois avec lui à Notre Dame.| Je te ressers ? | Je veux bien. | C’est marrant ton chapeau. | Tu aimes ? | Plutôt | Je suis dans ma période malvacée. | Comment ? | C’est cette couleur. Mais ma culotte est plutôt dark old rose, rose brulé si on peut dire. Tu veux voir ? | Je ne suis pas certain d’être prêt pour ça.
SCÈNE 2
Au deuxième étage
Chambre de musicien
Vue sur rue
Elio | Solange
Tu me dis surtout si je te fais mal ? | Oui t’inquiète. | Non je ne m’inquiète pas, mais on va y aller en douceur, comme sur un morceau de King Crimson | C’est-à-dire ? | En mode progressif | D’accord | C’est la première fois ? | Que quoi ? | Que tu fais l’amour ? | Depuis mon accident tu veux dire ? | Oui | Oui, mais t’inquiète ça va aller. | Je me sens investi d’une grande responsabilité tout à coup. Je vais chercher une clope. Tu veux quelque chose ? | Ce que tu veux. | Ça va ? T’as l’air mal. | Tu sais, je n’ai pas envie d’être considérée comme une fille différente parce que j’ai eu cet accident. | T’es sûre ? C’est un peu con. | Pourquoi ? | Parce que les filles habituelles, je ne les rappelle pas. | Et t’as l’intention de me rappeler ? | Oui j’aimerais bien. | Mais t’as pas mon numéro. | Attends je le prends. | Alors 06 70 84 23 54| 23…54…| Et je m’appelle Solange. | Ça je le savais. Regarde : je t’ai enregistrée à Solange Miracle.
SCÈNE 3
Au premier étage
Cuisine au lever du jour
Jacqueline | Iris
Mais je suis où là ? | Tu es chez moi | Mais pourquoi je ne suis pas chez moi ? | Parce que tu ne peux pas rester chez toi | Et pourquoi ça ? | Parce que tu as perdu la mémoire. | N’importe quoi. | Si. C’est normal que tu ne t’en rappelles pas. Tu veux une tartine ? | Oui. Mais tu es ma fille ? | Oui, maman. | Oh écoute, je ne comprends pas ce que je fais là. | Alors, tu as eu une maladie, une mé… | Méningo-encéphalite | Oui voilà. Donc à cause de cette maladie, tu as complètement perdu la mémoire. Bon là ça va un peu mieux…Mais tu ne peux pas rentrer chez toi, toute seule. | Mais je ne suis pas toute seule. | Si tu vis seule…depuis longtemps. | Non, je vis avec mes parents. | Maman, tes parents sont morts. | Ah bon. | Et donc à l’hôpital de Dieppe, ils n’avaient pas de solution, ils voulaient que tu ailles en maison de retraite mais sans rééducation. Alors j’ai décidé qu’on n’allait pas faire ça, et c’est pour ça tu es chez moi, enfin chez nous, à Montreuil. Le temps que ça aille mieux. | Mais je dors où ? | Dans ma chambre. | Et toi, tu dors où ? | Dans le salon. | On est toutes les deux ? | Non, à côté il y a ma coloc Gypsy. Tu te souviens ? Une petite qui a des grands chapeaux et qui est monochrome. | Je ne comprends rien à ce que tu dis. | Elle est toujours habillée d’une seule couleur. Bref. Au-dessus il y a Dorian mon amoureux. | Pourquoi je n’ai pas d’amoureux, moi ? | Ah mais ça je ne sais pas, maman. | Et ton père ? Il est où ? | On n’a pas très envie de le savoir. | Pourquoi ? | Parce que c’est mieux ainsi. | Mais on est à quel étage ? | On est au premier. Tiens regarde, je finis de t’expliquer sur le schéma. Donc au premier il y a toi, moi et Gipsy. Ensuite au deuxième, il y a Dorian. | C’est ton amoureux ? | Oui. | Et pourquoi je n’ai pas d’amoureux, moi ? | Et il vit avec ses colocs Elio et Amir. Au-dessus il y a Yuko et Serge | Son amoureux ? | Non, son coloc, c’est un pote d’Elio à la base et ils ont un chat énorme Bobun. Tu te souviens de Yuko ? Mon amie du lycée. | Oui vaguement…Elle est blonde ? | Non, elle est brune. Bon et après au-dessus il y a encore Oona qui vit avec Simone et sa fille Mélodie. Et puis au cinquième, il y a Eugène mais on le connaît moins et dans l’immeuble en face il y a Or et Bilal, mes anciens colocataires qui ont fait un bébé ensemble, Gloria. | Et toi, tu es qui ? | À ton avis, je suis qui ? | Tu es Marie-Françoise. | Non, je suis ta fille. Iris. | Mais tu dors où ?
SCÈNE 4
Au troisième étage
Atelier de gravure
Salon
Pénélope | Or | Lia | Solange | Yuko | Iris | Serge
Alors il sort de sa yourte, et moi je le vois et je sens vraiment mon cœur et mon sexe qui s’ouvrent. Je suis restée, toute la nuit. Il est magnifique, blond au-delà du supportable. | Waouh. | Ça fait tellement longtemps que je n’ai pas fait l’amour. | Et toi ? | Ecoute, je suis partagée. Bon, il est adorable…Mais tu vois c’est une crème qui a besoin d’être fouettée. Il peut être au même moment sublime et plat, c’est une sorte de platitude augmentée ou de solaire diminué si tu préfères. | Mais toi, tu le connais non ? | Vite fait. | Tu en penses quoi ? | C’est un mec de droite droite pour moi, mais d’une droite inconnue. | Bon…| Et c’était bien la tournée ? | L’endroit était divin, juste à côté d’une forêt, je faisais mon footing tous les jours là-bas. Il y avait une clairière complètement folle, avec de la mousse partout. Un coin elfique. Un matin, je me suis arrêtée. J’ai regardé à gauche et à droite. Et je me suis mise nue. J’ai roulé dans la mousse. J’ai trop pensé à toi. | À moi ? | Oui et tu sais très bien pourquoi. | Et au salon, tu n’as rencontré personne ? | Le dernier client ça pouvait aller mais il venait pour se faire tatouer Esperanza sur le ventre, il y a plein de positions où ce n’est pas possible et pourtant le mec est mignon, il vient d’ouvrir une fromagerie. | Il n’y a pas tellement d’hétéros hyper sexy je trouve. | Et toi le boulot ? | Ça me fait vraiment du bien de pas travailler avec lui en ce moment. Il ne s’en rend pas compte mais c’est quand même un mâle extra dominant. | Tu vois le seul que je connaisse et qui ne soit pas dans une logique d’écrasement, c’est Elio. | C’est parce qu’il a été élevé par deux femmes. | Ça joue | De toute façon c’est tous des fils. | C’est quoi des fils ? | Attends je demande à Serge. C’est son concept. Serge ? | Oui ? | Tu peux venir expliquer les fils ? | Alors pour faire simple, ce ne sont pas des pères. Mais surtout ils sont dupes d’eux- mêmes : ils ne savent pas qu’ils sont des fils. | Et toi ? T’es un fils ? | Absolument pas.
Serge quitte la pièce.
Jacqueline apparaît.
Où je dors ? | Oh maman, tu t’es relevée ? | Oui, vous faites trop de bruit et je n’aime pas rester seule en bas. | Mais faut que tu dormes, Jacqueline. | Je peux fumer avec vous ? Tu me donnes une cigarette, ma chérie ? | Oui, tiens Jack. | J’en ai ras le bol d’être célibataire, je te jure. Le pire c’est les autres. Franchement quand t’es seule à trente-six balais, c’est comme si on te signifiait que tu n’avais qu’une demi-existence. On nous a tellement bourré le mou. | Faut se libérer de tout ça. | Oui, je suis à fond pour. Mais ça me va si bien d’être amoureuse. | Mais tu dors où toi ? | Viens Jack, je vais t’accompagner dans ta chambre. | Non mais laisse, je vais y aller. | T’inquiète. | Merci.
Yuko et Jacqueline sortent.
Les filles regardent Iris.
Ça va ? | C’est dur. Je vais craquer, je pense. | Oui c’est normal. | Elle nous réveille toutes les nuits. | Et ils disent quoi les médecins ? | De la merde. | Ils me trouvent extrêmement farfelue de ne pas vouloir l’enfermer dans un mouroir. | Elle va quand même vraiment mieux. | Oui. | Vraiment.
Gipsy apparaît.
Coucou. | Tu bois un verre avec nous ? | Moui. | Ça va ? | Moui. | C’est rare de te voir en noir. | J’ai rencontré quelqu’un. | Bah fais pas cette tête. | Elle est où Yuko ?
Serge passe sa tête par la porte.
Elle s’endormie avec ta mère.
SCÈNE 5
Au deuxième étage
Chambre obscure
Univers en noir et blanc
Dorian | Iris
Respire | Oui | Ça va mieux ? | Oui allongée, ça va mieux. | Viens, on fait un petit câlin | Faut pas que je traîne | Attends mais ça va, tu peux la laisser seule un peu aussi, tu ne vas pas tenir. | C’est sûr que je ne vais pas tenir. Je me demande comment ça se fait que je n’ai pas basculé moi aussi. | Toi, tu as l’amour | Oui. Merci. Merci d’être là, comme ça. | Faut que tu remercies les autres aussi. | Oui mais c’est dur. Je suis rugueuse. J’ai du mal à exprimer mes sentiments. Enfin sauf avec toi.| Faut que tu leur dises que tu les aimes. | Je n’arriverai jamais à faire ça sans drogue. Mais tu crois qu’ils ne le savent pas ? Que je les aime ? | C’est mieux de le dire. | Je me sens tellement coupée de mes émotions. J’arrive même plus à pleurer. Je ne comprends pas pourquoi la vie s’acharne comme ça. Tu sais, je n’ai eu aucun moment de répit. Depuis que je suis née, ça n’a été que de la violence et des crises de démence. Quand j’étais enfant, j’avais tellement peur de mourir. Tellement peur qu’elle soit tuée et nous avec. Et puis après mon frère enfermé et maintenant elle qui siphonne grave… J’ai toujours espéré qu’un jour ça s’arrange, qu’il y ait une éclaircie mais je me dis qu’elle n’arrivera jamais. Et que je dois faire avec… | Tu es une extrêmophile. | C’est quoi ? | Une bactérie qui ne peut vivre que dans des milieux extrêmes qui seraient mortels pour d’autres organismes. | Une vraie fille à problèmes en résumé. | Mais toi, t’as pas de problèmes en fait. Ta famille oui, mais toi, tu as une belle vie. | Est-ce que tu veux bien te marier avec moi ? | Tu veux te marier, toi, maintenant ? | S’il m’arrivait quelque chose, c’est possible, on ne sait pas, paf un accident. Ça arrive. Bref un truc grave, un truc qui me met dans un sale état, les médecins ne savent pas quoi faire de moi. Alors ils se tournent vers ma famille. Tu imagines ? L’incompétence de ces gens ? Je serais foutue. | Calme-toi. | Faut que tu me tires de là. Tu es ma seule chance.
SCÈNE 6
Au premier étage
Chambre retournée
Nuit
Lia | Yoko | Iris à Gipsy
Est-ce que tu peux me répondre ? | Qu’est-ce qu’il t’a fait ? Tu m’entends ? | On va aller chez les flics, d’accord ? | C’est normal que tu pleures. | Il t’a fait mal où ? Tu veux nous montrer ? | Il avait déjà fait ça ? Souvent ? Depuis quand ? Ça fait des mois qu’il te fait du mal ? | Mais pourquoi tu ne nous as rien dit ?
Jacqueline apparaît.
Qu’est-ce qui se passe ? | Attends Jacqueline. | Vous dormez où, vous ? | Retourne dans ta chambre, Jacqueline. | Mais qu’est-ce que tu as mon cœur, pourquoi tu pleures ?
Gipsy la regarde.
Elle lui répond à travers ses larmes.
Il a dit qu’il allait me faire disparaître, Jack.
SCÈNE 7
Au premier étage
Réunion de crise
La nuit se pointe
Yoko | Lia | Or | Solange | Iris | Jacqueline
passage. Il l’a complètement mise à terre | Mais nan ne dis pas ça, il lui reste son noyau. | C’est un tout petit noyau | Un noyau de cerise| C’est les plus durs | Je ne m’en remets pas…On était juste à côté | Et tu n’as rien entendu ? | Non, j’avais mes boules Quies | Putain si je croise cette ordure | Ne dis pas ça | Non c’est vrai, j’ai peur en fait. | On était juste à côté, je n’arrête pas d’y penser. Ma mère qui dormait juste à côté. Ma mère qui a reçu tellement de violence que son cerveau a préféré la réinitialiser. Ça ne finira donc jamais, ce cercle de violence ? | Mais c’est quoi ces hommes-là qui veulent éteindre les femmes ? | Ça me terrifie, quand j’y pense. | On fait quoi alors ? | Alors moi j’ai fait des recherches, on peut lui envoyer de la merde tous les jours. | C’est-à-dire ? | C’est-à-dire un colis de merde, tous les jours. Il y a des sites pour ça. | Je suis pour. Vraiment, je suis pour. | Et on peut même le faire nous-mêmes. Envoyer notre propre merde à ce connard. | Euh concrètement comment on fait ? | Eh bien on se relaie. On est nombreux. | Je suis sûre que tout l’immeuble sera d’accord. | Tout le monde est au courant ? | Les gars au deuxième étaient hallucinés. | Ils seraient partants. Ça change de : œil pour œil, dent pour dent. | Très bien. | On peut commencer par la merde de Gloria, elle est petite, mais elle envoie. | Du coup on fait un genre de tableau ? De planning ? | Oui, je fais ça au bureau demain matin et je vous le transfère. | Pardon mais moi, je vais me désolidariser complètement de cette action. | Et on peut savoir pourquoi ? | Parce que ça me semble impossible de me lâcher comme ça dans un colis. C’est au-delà de mes forces. Pardon, toi tu le sais, mais j’ai des problèmes énormes pour… | Chier ? | Oui voilà, voilà…| Mais ça c’est parce que tu retiens. Tu retiens tout. Tu retiens tes désirs. Faut que tu les exprimes. | Tu crois ? | Mais bien sûr | Elle a raison. Tu as peur de quoi si tu fais ça ? De faire de l’ombre à qui ? | À personne mais c’est juste… | Ça fait combien de temps qu’on se connaît ? | Dix ans je dirais… | Affirme tes désirs. Je t’en supplie. | Laisse tomber, elle est bourrée. | Je voudrais qu’elle réalise ce qu’on voit, nous quand on la regarde. Les possibilités infinies que tu as, Lia. Que tu les voies et que tu te déploies. | Et donc pour toi, se déployer ça signifie chier dans un colis par vengeance ? | Oui peut-être, oui peut- être ça commence par là. En tout cas c’est dire merde, merde à ce détraqué mais merde aussi à tous ceux qui veulent nous éteindre comme tu dis. Vous vous êtes demandés, pourquoi il lui arrivait ça, à Gipsy ? Ce qu’il a cherché à faire disparaître en elle ? C’est la vie, son trop-plein de vie qui n’appartient qu’à elle et qui le narguait à chaque minute qu’ils passaient ensemble. Cette vie foutraque, qui déborde, qui jaillit en soleil par toutes ses fêlures. Ce torrent puissant, cette cascade ingérable mais qui lui a permis de traverser les épreuves. C’est ça qu’il ne pouvait pas encadrer ce pauvre type. | Tu projettes un max là. Je ne sais pas si tu t’en rends compte. | Tu crois ? Oui peut être, pardonne-moi. Peut-être, je projette…Pardon, je suis à bout. | Mais non amour, ne t’excuse pas. | Pardon, je suis une vraie connasse. | Mais nan.
Jacqueline les regarde.
Je vous regarde, et je trouve ça merveilleux, ce que vous faites. Elle va le ressentir, toute cette énergie que vous lui envoyez, j’en suis certaine. Je suis très émue de vous voir là comme ça, rassemblées pour votre amie. J’ai beaucoup de chance d’être avec vous. | Oh Jack. | Donnez-moi la main.
Elle se donnent toutes la main.
Solange regarde son téléphone.
Elle vient de m’envoyer un SMS. Elle a vu une magnétiseuse cet après-midi. Et elle lui a dit que sept anges veillaient sur elle. | On est six. | Il y aussi sa maman, je pense… Elle est à côté de nous. | Oui. Elle est là.
SCÈNE 8
Au cinquième étage
Vue dégagée sur Montreuil
Le toit
Or | Yuko | Lia
Je n’étais jamais monté sur le toit | Ça ouvre des perspectives…| On adore cette idée de barbecue.
Gipsy | Tous
Alors tout le monde, je vous présente Gilles, mon nouvel ami merveilleux ! | Salut ! | Gilles, voici mon ami Jules, je pense que vous seriez suprêmes ensemble.
Irina | Amir
Et alors, vous avez tous été d’accord ? | D’accord pour quoi ? | Pour que la mère d’Iris, s’installe ici ? | Et pourquoi pas ?
Irina rit étrangement.
C’est un rire, ça ? | Oui. | Mais tu ris extrêmement fort. | C’est dérangeant ? | Pas du tout
Elle rit.
Et elle va mieux ? | Beaucoup mieux oui, elle retrouve de la mémoire. Viens je te la présente. Jack, je te présente Irina…
Simone | Lia
Oh mais moi je n’ai rien fait | Arrête, tu lui as prêté un paquet de fric | Mais ce n’est rien ça. | C’est beaucoup.
Pénélope | Serge
Et donc là on entre dans une ère de transformation | Ah oui ? | Ah mais absolument, cette éclipse c’est un peu comme un bouton de réinitialisation et de lancement dans notre prochaine dimension. Faut être prêt. | Mais à quoi ? | Mais à tout. Serge, à tout.
Jacqueline | Hugo
Heureusement que vous étiez plusieurs pour faire face à cette femme à moitié démontée. Parce que parfois, je vois bien, que je travaille un peu de la capuche. | Comme tout le monde, maman.
Iris | Gipsy
Comme tu es belle en blanc. | C’est ma période ivoire. Toute en défense. | C’est très beau. | Oui ? Tu aimes ? | Beaucoup. | Je suis contente qu’ils se rencontrent enfin ce soir. | Tes deux copains ? | Oui. Gilles et Jules | Ils iraient bien ensemble. Enfin je ne les connais pas. Mais ils seraient beaux ensemble. | Je suis d’accord. Mais s’ils dorment tous les deux, je me mettrai au milieu. Je n’ai pas envie de dormir seule dans mon lit.
Jacquline | Dorian
Et moi ? Je dors où ? | Et c’est reparti…
Bilal | Yuko | Or | Lia | Iris | Gipsy | Dorian | Amir
Allez servez-vous, il y a encore plein de trucs à faire griller. | On est tellement contents, on pourrait s’abîmer dans cette communion. | Ça va être dur de faire mieux, pour la suite. | On vit peut-être notre âge d’or | Mais si, on fera mieux. On trouvera, tu verras. | Mais on reste ensemble ? | Oh oui ! On reste groupés. | On achète un château. | Vas- y, je suis chaud. | J’ai 1000 euros de côté. | Moi, je n’ai aucune perspective d’avenir en dehors de vous…
Bilal | Irina
Allez là, on se sert ! Que je puisse en remettre sur le feu. | C’est quoi ? | Alors là tu as de l’araignée, là de la hampe. | Et là ? | Ici ? Ici, il y a du cœur.