Odorama
Teddy Lussi-ModesteHaw-Lin Services
Le réalisateur Teddy Lussi-Modeste conjugue ses deux passions en faisant la critique d’une série de parfums à travers des films cultes de l’histoire du cinéma. Quant au duo Haw-Lin Services, il mélange réel et virtuel pour une série de natures mortes spatiales.
Ambilux
Marlou
Elle descend les escaliers qui mènent au beau jardin anglais. Sa chemise de nuit, rouge, légère, transparente, vole sous l’effet de la tempête que le prince a fait se lever. Lucy est sous l’effet d’un sortilège : le désir de cet étranger ou, peut-être, son propre désir. Tout communique entre ces deux corps qui se rapprochent. Depuis quelque temps, la jeune vierge préraphaélite pense au sexe et en parle à Mina. Le prince apparaît sous la forme d’une bête hideuse et musculeuse qui la pénètre et la mord au cou. Il hurle à la mort. Le coït est bestial. Les amants s’enivrent l’un l’autre de leur odeur, de ce cumin crissant et grillé, de ce costus chevelu et salé, de cette immortelle aux nuances de réglisse qui coud l’ensemble. Tout ça est tissé – fondu –mêlé – enduit – avec génie. L’odeur est turgescente. Et quelle honte d’être vu par celle qu’on aime apparaître soudain dans le jardin : Don’t see me, supplie-t-il Mina. Don’t smell me. Par-delà le sentir-bon et le sentir-mauvais, Ambilux se mérite. C’est un fauve. Féroce. Et quel bonheur il vous donne quand vous avez du courage. Cette œuvre bafoue les conventions sociales et change l’horizon d’attente d’un parfum. Ce que l’on cache, Marlou, qui semble tirer son nom de la lecture de Jean Genet, un auteur connu pour changer la trahison en héroïsme, la honte en gloire, Marlou, donc, l’arbore. S’approcher des parfums de Marlou c’est comme s’approcher, avec émoi et terreur, du sexe d’un inconnu. Est-ce que l’odeur qui en suinte va me seoir ? Le visage s’approche de l’endroit mystérieux, fourches caudines d’un passage à l’acte et, pourquoi pas, d’une relation durable. Au départ était la chimie.
Inspiré par Dracula de Francis Ford Coppola
Ciel de Gum
Maison Francis Kurkdjian
Un village sur la côte amalfitaine. Tom retrouve sur la plage un ancien camarade qui lézarde au soleil avec sa fiancée. Gêne : sa peau est si blanche, la leur si dorée. Mondain à la manière de ces expatriés bien éduqués, le couple invite Tom à prendre un verre plus tard. Puis c’est l’emballement. Le trio goûte à la douceur de vivre : soleil, baignades, concerts de jazz, aventures sans lendemain. Tom succombe à cette vie parfaite et en oublie sa mission : ramener à New York le beau Dickie dont il tombe amoureux et dont il jalouse la vie – un peu des deux – et le mélange est dangereux. Il est impossible pour lui de résister à ce parfum que Marge et Dickie portent chaque soir sur une chemise de lin, quand la fraîcheur descend du ciel et bénit. Il y a sur la peau et dans l’air de l’ambre, du jasmin, de la vanille, de la cannelle, du poivre rose. Cette odeur florale et orientale, florientale, est si parfaite. Si élégante. Sprezzatura ! Elle évoque la mine d’un crayon et cette odeur graphitée pourrait bien être une des signatures de son créateur au talent sans pareil. Mais Dickie se lasse de Tom et veut qu’il s’en aille. Tom n’imagine pas un seul instant ne plus vivre dans le sillage ambré du bonheur radieux de ses compatriotes. La rage le saisit : Dickie se trompe. Il doit se taire. De quel droit lui aurait-il ouvert la porte du paradis pour la lui refermer aussitôt au nez ?
Inspiré par Le Talentueux Mr. Ripley d’Anthony Minghella
Mutiny
Maison Margiela
Jamais personne ne lui parle. Et encore moins comme ça. En lui souriant et en lui disant qu’il a de belles mains. Il se pince pour savoir s’il ne rêve pas, si cette femme vient bien de lui proposer de l’accompagner. Elle conduit cette fourgonnette aux abords de Glasgow, dans des paysages pluvieux et minéraux, froids et métalliques, allumant les lads qu’elle rencontre en chemin. Elle s’est littéralement glissée dans ce corps sexy, et s’est revêtue de ses atours – jupe en jean et blouson de fausse fourrure. Sans le savoir, elle devient peu à peu humaine. Sur elle, l’odeur de cette femme abductée, certainement conduite dans ce bain noir où elle mène elle aussi les hommes qui la suivent. Plus ils suivent cette femme qui se déshabille, plus ils s’enfoncent dans un élément inconnu sur terre, ni liquide ni gazeux. À chaque vêtement qu’elle enlève, le sillage de son parfum si féminin leur parvient : c’est un fruit juteux et solaire, orange et mandarine en tête, entrecoupé de notes vertes à l’amertume stridente, le tout déposé sur une vanille solide et légèrement cuirée. La tubéreuse, cette fleur charnelle au centre du parfum, est déstructurée pour être mieux rhabillée, pétale après pétale, tour à tour crémeuse ou épicée. À l’approche de la mort, elle regarde ce visage qu’elle portait, si proche et si lointain, nu et pourtant indéchiffrable. L’homme ne cessera jamais d’être un mystère pour lui-même.
Inspiré par Under the skin de Jonathan Glazer

Replica Bubble Bath
Maison Margiela
Coco Mademoiselle
Chanel
Entre le 1 et le 2, elle est passée de 13 à 15 ans. C’est très peu, mais à l’adolescence, deux ans c’est une éternité. Les parents ont leurs problèmes, elle a aussi les siens : elle pense beaucoup à Matthieu. « Mais qu’est-ce qu’elle a ? » demande le père. « 13 ans… » répond la mère. On la retrouve en Autriche, allongée dans un champ. Elle s’y ennuie tellement qu’elle a lu L’Éducation sentimentale. C’est l’été et une petite robe bleue enveloppe ce corps qui a grandi si vite. Désormais, c’est une demoiselle. Et elle porte un parfum de demoiselle. C’est Poupette, harpiste et professeure de harpe, qui le lui a certainement offert. Dans le train qui la ramène de Salzbourg, elle rencontre Philippe. Elle a oublié Matthieu, elle l’a oublié dès la fin du premier volet, quand cet inconnu aux yeux bleu acier est venu danser un slow avec elle sur un morceau de Richard Anderson. Lui aussi elle l’a oublié et cela fait longtemps qu’elle n’a plus été amoureuse. Désormais, c’est Cook da Books qui prend le relai. Lors du concert, elle se rapproche de Philippe, dont le corps tonique et souple a été façonnépar la savate. Comment Philippe pourrait-il résister à ce cou duquel émane une odeur d’abord fruitée ? C’est en tête toute une explosion d’hespérides : mandarine et bergamote que vient subtilement sucrer une douce fleur d’oranger. La fleur d’oranger annonce un cœur résolument floral. Carrousel de mimosa, de jasmin, de rose et d’ylang-ylang – qui exotise le bouquet français et lui fait voir du soleil. Quand les deux amants courent dans la nuit et alors qu’une pluie les trempe jusqu’à l’os, les effluves s’orientalisent avec la fève tonka, le patchouli et la vanille. C’est un bonheur. « Mais qu’est-ce qu’elle a ? » demande la mère.
« Elle est heureuse », répond le père.
Inspiré par La Boum et La Boum 2 de Claude Pinoteau

Misia
Chanel
Jamal’s Palace
Memo Paris
Le pays de l’autre côté de la mer est plein de merveilles. En entrant dans la médina, il ne peut voir la beauté du souk car il doit faire croire qu’il est aveugle. Il manque ainsi l’explosion de couleurs qui fait rutiler l’image de jaune, de vert, de fuchsia et de bleu. Mais il peut écouter les chants traditionnels et la douce voix des femmes qui leur font l’aumône. Il peut aussi sentir les épices – safran, cardamome et bouton de rose – et trouver ainsi, certainement à l’endroit où les épices laissent place au fondouk El Attarine, la clef parfumée qui lui permettra de délivrer la fée des djinns. La plus belle maison de la médina est habitée par Jenane, sa nourrice adorée qu’il retrouve enfin. Dans le riad aux murs décorés d’arabesques, la fraîcheur est filtrée par les moucharabiehs. L’odeur des fleurs embaume le jardin édénique. Et puis le hennissement d’un cheval annonce l’arrivée de son frère de lait. Avec les années, son port de tête est devenu altier. Une odeur puissante et racée émane de lui : un oud imposant, métallisé par le safran, l’or rouge. Une note de gardénia pose sa douceur arachnéenne sur cette virilité aristocratique. L’ambre et le cuir soutiennent l’architecture. « Assalamu alaykoum », lui dit Azur, le blond aux yeux bleus. « Wa alaykoum assalam », lui répond Asmar, le brun aux yeux noirs.
Inspiré par Azur et Asmar de Michel Ocelot
Music for a while
Frédéric Malle
Il pense aux femmes qu’il a aimées. Il veut les retrouver dans le roman qu’il écrit car il les a toutes perdues. Ça s’est joué à peu mais il faut croire que cet homme, au-delà des contingences qui entouraient chacune de ses relations, n’est pas fait pour le bonheur… Renversons le point de vue : qu’ont retenu de lui ces femmes plus belles les unes que les autres ? Il est charmant, il est sensible, il a aussi cette honnêteté qui peut être dure à entendre. Et puis, il a cette odeur. En 1962 comme en 2046, il porte le même parfum, un parfum classique et futuriste. Si la lavande est l’ingrédient vedette de nombreux masculins depuis la fin du XIXe siècle, un ananas juteux – dont on sent également la peau rude et verte, gondolée – percute l’accord fougère, lui fait voir du pays et des étoiles, et, bientôt, ce qui en tête apparaissait comme un oxymore, devient dyade. Après l’étreinte, dans un tripot ou dans une chambre minuscule, ces femmes portent à leur tour ce parfum derrière l’oreille et sur ces robes chinoises à col haut qui font d’elles des madones au long cou. Le temps est passé, les cendres se sont dispersées, mais l’odeur, elle, est restée. C’est cette odeur que Chow retrouvera à 2046, non une date, mais un lieu où le temps s’est arrêté.
Inspiré par 2046 de Wong Kar-Wai
Reptile
Celine
Ça commence par un hurlement tellement puissant qu’il saisit Brian Slade. L’homme en robe est fasciné parce ce qu’il voit sur scène. Curt Wild, qui devient fou au moindre son d’une guitare électrique, se déhanche comme un iguane. Il interprète son titre avec fièvre, entouré par son groupe : The Rats. Torse nu, pantalon en cuir, reptations de la langue qui suggèrent un rapport bucco-génital frondeur, il renverse sur lui des paillettes avant de se foutre à poil. La foule en délire applaudit mais Curt l’insulte de son majeur bien tendu. Explose de lui une énergie bestiale et la légende lui accorde d’ailleurs des origines animales. Le sillage de son odeur est partout autour de lui comme l’auréole autour d’un saint : un poivre charnu semble réduire en poudre tout ce qui l’entoure, cèdre, mousse, musc et cuir, avant de se baumer. Le parfum fait sa mue. Si Curt jetait son pantalon de cuir dans la fosse, les fans le déchireraient pour emporter chez eux les précieuses reliques. Curt ne joue pas. C’est un artiste à l’état brut qui a grandi dans les banlieues pauvres du Michigan et dont la famille pensait guérir les penchants homosexuels par des électrochocs. Aucune réflexion chez lui : que de l’instinct. Comme un prédateur. Comme un reptile. C’est tout le contraire de Brian qui rêverait d’être à sa place sur scène, lui dont la performance fleur bleue l’a fait se crasher la veille comme un ascenseur en chute libre. « Ça aurait dû être moi. » « J’aurais dû avoir cette idée. » Brian retrouvera Curt : deux serpents ensemble dont les étreintes sur scène seront autant de constrictions électriques.
Inspiré par Velvet Goldmine de Todd Haynes

Reptile
Celine
Erotic Me
Paco Rabanne
Bus 96. Entre Montparnasse et porte des Lilas. Son visage se dessine sur la fenêtre arrière du bus qui donne sur le quartier latin. Une légère brise caresse ses cheveux blonds. Elle porte une robe à pois et de petites baskets blanches chaussent ses mignons pieds. Il la regarde depuis un moment l’écrivain américain vivant à Paris pour suivre les pas de Fitzgerald et de Miller. Et quand le contrôleur surprend la jeune fraudeuse, Oscar lui glisse son ticket et paie l’amende. Gentleman. La jeune fille hante ses pensées, et quand il finit par la retrouver par hasard, une liaison torride commence entre eux. Ce matin, à la table du petit déjeuner – le corps ceint d’un peignoir blanc légèrement humide comme ses beaux cheveux – émane d’elle une odeur suave : en tête un osmanthus en surdose dont les notes abricotées se posent sur un fond lacté qui évoque de façon très réaliste le lait concentré que l’on avalait enfant à même le tube les après-midis sans goûter. D’ailleurs, Mimi renverse sur sa gorge du lait qui coule jusqu’à ses seins. Oscar lèche et dévore, greedy, les mamelles offertes. Il hume le cuir angélique de sa peau qui donne de la profondeur à la fragrance. Ce parfum, en quelques notes, dégage un érotisme joueur et moqueur. Et partout, dans Paris, à cette lointaine époque du Minitel, la publicité pour 3615 Ulla. Honni soit qui mal y pense.
Inspiré par Lune de fiel de Roman Polanski

Erotic Me
Paco Rabanne

Lil Fleur
Byredo

Matière Noire
Louis Vuitton

Sans Merci
Givenchy