Art

Revoir Revue

Ce dixième numéro de Revue célèbre cinq années d’existence durant lesquelles nous avons reçu de nombreux invités. Nous est alors venue l’idée de les recevoir à nouveau, en leur proposant de poser une question ou d’y répondre, mélangeant nos précédentes discussions pour en créer de nouvelles. Autant de dialogues entre artistes de tous bords qui revisitent notre histoire tout en proposant une relecture créative.

Sidi Larbi Cherkaoui

(chorégraphe, à relire dans Revue 1, en discussion avec le musicien Woodkid) questionne

Damien Jalet

(chorégraphe, à relire dans Revue 7, en conversation avec le musicien Etienne Daho) 

 

Comment navigues-tu entre le monde du cinéma, celui de la mode et des stars comme Madonna et celui de la danse contemporaine et des compagnies plus classiques  ?

J’adore naviguer en effet ! C’est peut-être pour ça que l’une de mes pièces s’appelle Vessel et que l’on retrouve des vagues dans tous mes spectacles ! Ce que j’ai toujours aimé dans la danse, et en particulier la danse contemporaine, c’est sa capacité à inventer ses propres codes, à pouvoir créer des liens avec d’autres mediums, à traverser les frontières géographiques. Venant du théâtre, bien plus cantonné aux frontières linguistiques et à une forme de tradition, la danse contemporaine a toujours été un espace mêlant une extrême rigueur à une vraie liberté. J’aime profondément collaborer, mais je ne le fais qu’avec des gens que j’admire et qui m’inspirent. Je suis très intuitif et surtout très intransigeant avec ça. J’aime aussi tester la limite entre cultures dites « savantes » et « populaires ». Mes chorégraphies se sont parfois faits taxer de « niche » ou de très (trop) spécifique, et je suis assez surpris par le fait que, sans altérer quoi que ce soit, elles se retrouvent aujourd’hui au centre de films à très grand visionnage. Je suis très heureux de recevoir des témoignages de gens qui ne connaissent pas cette forme de danse et qui grâce à ces films sont devenus de vrais amateurs. La même chose s’est passée pour moi quand j’ai découvert Madonna à l’âge de onze ans. Elle a été le déclencheur de quelque chose en moi. Son travail était toujours extrêmement référentiel et, grâce à elle, j’ai découvert Martha Graham ou Bob Fosse. Du coup, lorsqu’elle m’a contacté presque trente ans plus tard après avoir vu mon travail dans Suspiria, c’était comme une boucle qui se formait. Comme si après avoir été l’étincelle qui m’a fait commencer à danser, je pouvais lui rendre quelque chose de cette énergie qu’elle m’avait donnée à un moment clé de ma vie.

The Shoes

Guillaume Brière & Benjamin Lebeau (musiciens, à relire dans Revue 1, en discussion avec la cinéaste Rebecca Zlotowski)  questionne

Fishbach

(musicienne, à relire dans Revue 4, en discussion avec la cinéaste Céline Sciamma)

 

Quel conseil aurais-tu aimé recevoir lorsque tu as commencé la musique ?

Je dirais que je n’ai aucun regret sur mes débuts, car j’ai su faire le tri entre les réflexions avisées et les encouragements douteux. Si je devais recommencer, je referais tout de la même manière.

Études

(créateur, à relire dans Revue 4) questionne

Woodkid

Yoann Lemoine (musicien, à relire dans Revue 1, en discussion avec le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui) 

Comment as-tu vécu la sortie de ton morceau « Goliath » abordant des sujets en écho direct à cette situation inédite dans laquelle nous sommes plongés ?

On s’est posé la question d’un potentiel retardement de la sortie. J’avais peur qu’elle ait l’air opportune par rapport aux conditions. Mais au final on a décidé de garder notre calendrier et de laisser notre film résonner avec l’actualité car la question de la toxicité est quelque chose que j’avais envie d’aborder depuis longtemps. C’est un sujet qui n’est pas nouveau et qui n’est pas arrivé avec la Covid. Je pense que « Goliath », plus particulièrement son clip, peut parler de ça, mais peut aussi prendre une dimension supérieure, plus métaphysique. Mais évidemment, j’aurais préféré que l’actualité ne s’aligne pas avec la mythologie de ce titre.

Soft Baroque

(designer, à redécouvrir dans Revue 6)

Études

(créateur, à relire dans Revue 4)

 

La surexposition de l’image et du contenu dans nos sociétés digitales nous a, d’une certaine manière, désensibilisés de la beauté, mais nous en a aussi libérés. De la même manière que d’autres ressources sociales et naturelles s’épuisent, pensez-vous que la beauté s’amenuise ?

Il est difficile de mesurer l’impact de la surexposition des images au travers des nouveaux médias. Le phénomène actuel qui nous paraît intéressant, c’est que l’époque où la conception des images était réservée à quelques personnes est révolue. Leur démocratisation et leur diffusion leur ont donné une nouvelle place dans notre société.
Presque comme une forme de résistance, et afin de nous préserver, avec Études Books nous éditons des livres de photographie et d’artistes depuis 2007. Nous avons à cœur de publier des ouvrages de photographie qui rassemblent au sein d’un même objet une série d’images, une conception graphique, un texte. Ces publications sont le fruit de notre relation avec l’artiste.

Woodkid

Yoann Lemoine (musicien, à relire dans Revue 1, en discussion avec le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui)  questionne

Damien Jalet

(chorégraphe, à relire dans Revue 7)

 

Dans quelle mesure est-ce que ton travail de chorégraphe est transformé lorsqu’il est destiné à être filmé et monté ?

Chorégraphier un spectacle ou un film sont en effet deux processus qui ont leur spécificité propre ; c’est presque aussi différent que pour un acteur de jouer dans un film ou une pièce de théâtre. En général dans mes pièces j’aime créer un cadre, une limite, comme un dispositif scénographique qui est parfois en mouvement lui-même, j’aime aussi explorer comment à partir d’une certaine perspective on peut créer une sorte d’anamorphose, jouer sur ce que l’on voit ou pas. Le cadre d’une caméra devient ce cadre, cette limite dans laquelle le mouvement s’inscrit, comment un corps y apparaît et disparaît. J’ai appris énormément en tournant Suspiria avec Luca Guadagnino – ma première vraie expérience à chorégraphier en utilisant un moniteur. C’est devenu très vite clair que ce que je chorégraphiais en studio à partir d’un point fixe allait être complètement déconstruit par les caméras en multiangles, qui allaient non seulement changer constamment la perception de l’espace mais capturer énormément de détails. Ce qui demande encore plus de précision dans la chorégraphie, mais aussi dans les intentions des danseurs. Sur le plateau, j’ai très vite lâché mon point de vue frontal pour me placer derrière les moniteurs avec Luca. En même temps que l’on tournait, je découvrais des détails et des perspectives (notamment grâce aux top shots), ce qui permettait de continuer à guider les danseurs, mais aussi les cadreurs ; certains mouvements ont été aiguisés pendant le tournage afin de mieux s’inscrire dans l’image. Les scènes de Suspiria sont toute filmées en camera fixe, de plusieurs points de vue, ce qui demandait un énorme travail de montage. La chorégraphie s’est reconstruite en salle de montage, grâce à Walter Fasano, dès lors qu’il a compris qu’il pouvait « remixer » la chorégraphie. Il y a passé trois semaines. J’ai adoré voir le résultat final. C’est, j’imagine, comme pour toi quand tu reçois le remix d’une de tes chansons par quelqu’un qui te fait découvrir des nouveaux aspects de ce que tu as créé !
Pour Anima avec Paul Thomas Anderson, en créant la chorégraphie en studio, je filmais le matériel des danseurs avec mon iPad et me mettant en mouvement ; cette idée de perspective mouvante est propre au cinéma et ne peut pas être vécue par un spectateur dans un théâtre. J’envoyais les vidéos à Paul Thomas et ça nous a inspiré à tout filmer en mouvement constant, avec très peu de coupures. Nous étions dans les rues de Prague avec un steadicam, et j’avais mon propre moniteur portatif pour lequel je donnais les instructions à vue pour faire rentrer et sortir les danseurs du cadre. Paul Thomas adore les longs plans séquence, du coup rien ne peut être repris en montage ; ça montre plus d’imperfections, mais ça amène aussi une émotion plus forte que lorsque la chorégraphie est trop hachée.
Enfin, un autre exemple : quand j’ai développé Train-train, sur une musique de Koki Nakano, avec le réalisateur Benjamin Seroussi, l’idée était de suivre un solo du danseur Aimilios Arapoglou dans la tour Pleyel, à Paris. Nous avons tout filmé en mouvement et je trouve que ce pas de deux entre un danseur et un cadreur est fascinant.
Dans tous les cas de figure, que ce soit au cinéma, dans la mode, pour Madonna, dans mes pièces ou celles que je fais pour des ballets plus classiques, je tâche de garder une même qualité expérimentale.

Ronan Bouroullec

(designer, à redécouvrir dans Revue 2) questionne

Paul Chemetov

(architecte, à relire dans Revue 3, en discussion avec le chef Inaki Aizpitarte) 

 

Si vous deviez choisir un édifice, je serais curieux de savoir lequel ce serait.

On ne peut résumer l’architecture à un bâtiment. S’il reste un livre, La Bible, pour les croyants monothéistes, l’architecture n’a pas sa « Pierre Noire de la Mecque ». Je pourrais citer quelques bâtiments émouvants : les maisons Jaoul, Wright ou Schindler à Los Angeles, ou Kahn à Ahmedabad. Mais ce serait infiniment réducteur!

Perez

(musicien, à relire dans Revue 9, en discussion avec le chorégraphe Olivier Dubois) questionne

Woodkid

Yoann Lemoine (musicien, à relire dans Revue 1, en discussion avec le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui) :

La musique pop, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un projet solo, passe par une incarnation forte, la mise en avant d’un visage, d’un style vestimentaire, d’une attitude, etc. En quoi la 3D permet-elle de jouer avec ces codes ?

Je trouve qu’on vit à l’ère de l’ultra-explicite. Les réseaux sociaux poussent l’artiste à cela. Dans tout mouvement il doit y avoir un contre-mouvement et je trouvais intéressant d’interroger sur ce qu’est l’ultime façade. L’idée de cet avatar 3D que j’ai introduite avec S16, mon nouvel album, est arrivée très vite. Elle soulève beaucoup de questions qui m’interpellent autour de la réalité, du virtuel, mais aussi de l’authenticité, de la générosité et de la fantaisie. C’est une figure qui peut questionner l’égo comme elle peut questionner la timidité. Elle interpelle sur l’idée de la technologie dans la musique et dans l’image, tout comme sur la manipulation et sur la question fondamentale qui est : « Est-ce que l’artiste est un personnage ? »

Sabine Marcelis

(designer, à redécouvrir dans Revue 6) questionne

Soft Baroque

(designer, à redécouvrir dans Revue 6)

 

Chère Saša, tu m’as dit un jour que tu manges des aliments d’une seule couleur chaque jour de la semaine. Pourrais-tu me faire part de tes menus de cette semaine ? Je suis très curieuse !

J’adore cuisiner, mais les possibilités sont infinies et peuvent m’épuiser. J’ai créé le système « une couleur par jour » et j’ai centré mon quotidien autour de cela. Chaque jour, je me suis habillée d’une seule couleur et j’ai mangé des aliments d’une même couleur. C’était une règle arbitraire qui m’a aidée à rester concentrée.

Dimanche 7 avril 2019 : BLANC
Yaourt grec à la poire nashi pour le petit déjeuner. Fromage de chèvre pour le goûter. Enokitake (champignons blancs), radis blancs, pousses de haricots et bol de riz au gingembre pour le déjeuner. Chocolat blanc entre les deux. Soupe aux amandes pour le dîner. Meringue comme douceur pour la nuit.

Lundi 8 avril 2019 : ORANGE
Soupe à l’orange, à la mangue, au potiron et aux carottes, patate douce rôtie et butternut, Doritos.

Mardi 9 avril 2019 : VERT
Jus vert, kiwi, soupe de pois, épinards, câpres, brocolis, asperges, olives.

Mercredi 10 avril 2019 : ROUGE
Fraises, grenade, poivron rôti, gelée de coing, biscuits de betterave, pizza marinara.

Jeudi 11 avril 2019 : JAUNE
Banane, pâtes aux tomates jaunes, polenta.

Vendredi 12 avril 2019 : ROSE
Macarons de betteraves, saumon, patate douce violette (beni imo), rhubarbe, framboise.

Samedi 13 avril 2019 : NOIR
Mûres, haricots noirs, riz noir, chocolat très noir.

Paul Chemetov

(architecte, à relire dans Revue 3, en discussion avec le chef Inaki Aizpitarte)  questionne

Ronan Bouroullec

(designer, à redécouvrir dans Revue 3)

 

Je serais heureux de lire votre réponse sur la beauté de l’ordinaire, la représentation du banal, en bref, l’esthétisation de la vie quotidienne.

Je me rappelle assez précisément de la nappe en toile cirée, du tiroir pour ranger les couverts au bout de la table, des bols, chez mes grands-parents. Des piquets de bois autour des champs, des bottes de mon voisin paysan dans l’environnement rural dans lequel j’ai grandi. J’ai toujours été intéressé par les objets de tous les jours : le réveil, la nappe, la cafetière, le lavabo, les lacets, la poignée de porte, le trottoir, le comptoir, la tasse…

Rebecca Zlotowski

(cinéaste, à relire dans Revue 1)

Olivier Dubois

(chorégraphe, à relire dans Revue 9, en discussion avec le musicien Perez)

 

Quels sont vos longs-métrages favoris pour découvrir l’univers de la danse, que ce soit pour leur narration ou leur manière de filmer le mouvement ?

Voici quelques films, à mon sens, majeurs. Ils sont très diversifiés mais partagent chacun une grâce transpirante !

Beau Travail, de Claire Denis.
Fame d’Alan Parker, incontournable !
Les Rêves dansants d’Anne Linsel et Rainer Hoffmann sur une reprise de Kontakthof, pièce de Pina Bausch par des adolescents.
This is it, de Kenny Ortega, documentaire autour de Michael Jackson.
Entrons dans la danse, de Charles Walters, avec Fred Astaire et Ginger Rogers.
Staying alive, de Sylvester Stallone et avec John Travolta. Improbable rencontre !
Auguri, de Tommy Pascal, un joli documentaire pour l’une de mes pièces !

Chloé Thevenin

(musicienne, à relire dans Revue 6, en discussion avec le collectif de chorégraphes La Horde) questionne

Rebecca Zlotowski

(cinéaste, à relire dans Revue 1, en discussion avec le groupe The Shoes) 

 

Quelles sont vos bandes originales de films préférées ?

Dans le désordre, et pour ne citer que des scores composés, et non pas des films aux bandes originales somptueuses, mais qui sont des « synchros » – des titres préexistants  , je sélectionne :

Running on empty, de Sidney Lumet, avec une bande originale de Tony Mottola .
Foxes, d’Adrian Lyne avec Jodie Foster, avec une bande-originale de Girogio Moroder.
Koyaanisqatsi, la prophétie de Godfrey Reggio, avec une bande originale de Philip Glass.
César et Rosalie de Claude Sautet, avec une bande originale d’Alain Sarde.
Un homme un vrai, d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu, avec une bande originale de Philippe Katerine.
Birth, de Jonathan Glazer, avec une bande originale d’Alexandre Desplats.
Under the Skin, de Jonathan Glazer, avec une bande originale de Mica Levi.
— Toutes les bandes originales de Jonny Greenwood pour Paul Thomas Anderson, et plus spécialement celle de The Master.

Christelle Kocher

(designer, à relire dans Revue 8)  questionne

Ronan Bouroullec

(designer, à redécouvrir dans Revue 2)

 

Philip K. Dick a écrit dans Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? : « The tyranny of an object, he thought. It doesn’t know I exist. », que l’on pourrait traduire par « La tyrannie d’un objet, pensa-t-il. Il ne sait pas que j’existe. » Pensez-vous que les objets modifient notre perception de la réalité ? Comment intégrez-vous cela à votre travail ?

Pour moi un objet posé dans un espace produit le même effet qu’un sachet de thé dans un bol d’eau brûlante.

PROPOS RECUEILLIS PAR JUSTIN MORIN