Instant d’Inflexion

À travers ces images numériques, Lucy Hardcastle explore les tensions entre physicalité et virtualité dans une atmosphère de pureté onirique. 

C’est qu’il se peut, pour le sommeil et pour la veille que, l’un des deux étant absolu, l’autre aussi soit partiel. L’on ne peut dire alors d’aucun de ces deux états, que ni l’un ni l’autre soit un rêve, pas plus qu’on ne peut le dire de toutes les vraies pensées qui nous viennent dans le sommeil, indépendamment des images. Mais l’image produite par le mouvement des impressions sensibles quand on est dans le sommeil, et tant qu’on dort, voilà ce qui constitue vraiment le rêve.
Il y a des gens qui n’ont jamais rêvé de toute leur vie ; mais ces exceptions sont fort rares, quoiqu’il y en ait pourtant quelques unes. Pour les uns, cette absence de rêves a été perpétuelle ; pour les autres, les rêves ne leur sont venus qu’avec les progrès de l’âge, sans qu’auparavant ils en eussent jamais eu. Il faut croire que la cause qui fait qu’on ne rêve pas, est à peu près la même que celle qui fait qu’on n’a pas de rêves quand on dort aussitôt après le repas ; et que les enfants non plus ne rêvent point. Dans tous les tempéraments où la nature agit de telle sorte qu’une évaporation considérable monte vers les parties supérieures, et produit ensuite, en redescendant, un mouvement non moins considérable, il est tout simple qu’aucune image ne se montre. Mais on conçoit très bien qu’avec les progrès de l’âge, il arrive des rêves ; car, du moment qu’un changement survient, soit par l’âge, soit par une affection quelconque, il faut aussi qu’il arrive le contraire de ce qui avait lieu auparavant.

Aristote, Des rêves, traduction française de J. Barhelemy-Saint-Hilaire
1891