Figures de style

ORLANDomenico de Chirico

Le commissaire et critique Domenico de Chirico s’entretient avec ORLAN, figure emblématique d’un art féministe, singulier et politique depuis plus de quarante ans.

Domenico de Chirico      Puis-je vous demander de choisir quelques adjectifs qui décrivent pleinement les spécificités de votre carrière artistique ? 

ORLAN     Mon engagement et ma liberté font partie intégrante de mon travail, je défends des positions qui me semblent innovantes et subversives. Je cherche à dérégler les règles et à briser les conventions, les prêt-à-penser. Je m’oppose au déterminisme naturel, social et politique, à toute forme de domination, à la suprématie masculine, la religion, la ségrégation culturelle et au racisme.

Domenico de Chirico     Votre rapport à votre corps, tant dans votre pratique artistique que dans votre intimité, a-t-il changé ?

ORLAN     Non, pas du tout. Je continue toujours d’effectuer les mêmes performances que lorsque j’étais au début de ma carrière d’artiste, telles que les mesuRages où je me servais de mon corps comme instrument de mesure. Je suis de plus en plus créative et je n’ai pas la sensation que mon âge devrait avoir une conséquence sur ma manière de percevoir et de créer avec le corps. Dans la vie, nous n’avons pas un corps mais des corps…

Domenico de Chirico      Comment définiriez-vous le dualisme entre corps vécu et corps anatomique? Pensez-vous que les deux peuvent être associés à ces concepts qui vous sont si chers de « défiguration » et de « réfiguration » ?

ORLAN    L’anatomie n’est plus un destin. Ce qui m’a paru important c’est de remettre en question l’inné, en m’attaquant à son « masque » pour créer sur mon propre visage un autoportrait où s’affiche de la différence, ma différence. De manière à ce que mon vécu prime et que mon corps et mon visage soient à la fois une meilleure carte de visite et une carte de visite non normée. J’estime que notre corps nous appartient et que nous pouvons l’utiliser comme support pour concrétiser nos projets de société et que nous pouvons les y inscrire visuellement. Pour ma part, j’ai fait de mon corps le support, la matière première et l’outil visuel de mon travail : il est devenu un lieu de débat public.

Domenico de Chirico     Est-ce que « excès » rime avec « spectacularisation » ?

ORLAN     En ce qui me concerne, les œuvres que j’ai produites et qui ont pu être qualifiées d’excessives n’étaient pas gratuites. Je n’ai jamais voulu me donner en spectacle pour attirer l’attention et satisfaire un quelconque ego d’artiste. J’ai fait ce que je pensais devoir faire pour faire évoluer les mentalités. En tant qu’artiste, je me suis positionnée dans le monde et j’ai essayé d’être une chroniqueuse éclairée de mon temps. Mes œuvres sont motivées par des idées et des réflexions profondément ancrées dans les problématiques contemporaines.

Domenico de Chirico     Avez-vous en ce moment un désir que vous voudriez voir se réaliser ?

ORLAN      Adolescente, je voulais être exploratrice ou batteuse dans un groupe de musique. Dernièrement, les Chicks on Speed m’ont proposé de travailler avec elles. Nous prévoyons de sortir un EP sur vinyle et de faire une tournée dans plusieurs institutions culturelles dans le monde, où nous pourrions donner lieu à nos performances artistiques et musicales. 

Domenico de Chirico      Pourquoi ORLAN ?

ORLAN      Changer de nom est dans l’esprit de l’invention de soi. Après une séance de psychanalyse, je me suis rendu compte que j’oubliais des lettres de mon nom parental et que je signais « morte » sur mes chèques. J’ai voulu réutiliser les syllabes qui produisaient une connotation positive en conservant le mot « or », j’ai ensuite rajouté « LAN » et à partir de ce moment, je me suis appelée ORLAN.

Je suis ORLAN, entre autres et dans la mesure du possible, mon nom s’écrit chaque lettre en capitale car je ne veux pas que l’on me fasse rentrer dans les rangs, dans la ligne. 

ORLAN, Self-hybridations Africaines, 2000-2003.