Coulisses et défilés

OMA/AMO

Débutée il y a quasiment vingt ans, à l’occasion de la création du Prada Epicenter de New York (finalisé en 2001) — à la fois boutique, galerie et laboratoire — la collaboration entre la marque italienne et OMA / AMO, le studio multifacette fondé par l’architecte et urbaniste Rem Koolhaas, ne cesse de questionner les formes et les attentes. Des espaces de vente à l’emblématique Fondation Prada, ce dialogue se réinvente également de manière chronique à chaque nouveau défilé. Par leur fréquence, ces derniers sont autant d’opportunités d’explorer des obsessions inattendues ou de revenir sur certains motifs. Un ballet conceptuel et formel savamment orchestré par une équipe à géométrie variable qui livre à Revue les secrets émanant des coulisses.

Les défilés qui unissent OMA / AMO à Prada sont gérés au quotidien par les architectes Giacomo Ardesio et Giulio Margheri, sous l’égide d’Ippolito Pestellini Laparelli et de Rem Koolhaas, deux des neuf partenaires de la firme néerlandaise. Le binôme évolue dans les bureaux de Rotterdam et explique : « Notre équipe varie selon les projets, cela nous permet notamment de renouveler nos inspirations. Les discussions autour des défilés ont débuté en 2006, mais à cette époque, le rôle d’AMO se limitait à quelques conseils. La manière dont nous travaillons aujourd’hui a été instaurée par Ippolito quelques années plus tard. C’est lui qui a mis en place la méthodologie appliquée à ces projets. Il y a une procédure à suivre pour chaque nouveau défilé, cependant puisqu’ils diffèrent tous du précédent, notre processus de création n’est jamais linéaire. Tout comme Prada n’est jamais linéaire dans son rapport à la créativité ! » En effet, un regard en arrière permet de voir à quel point la maison italienne aime jouer avec les extrêmes et proposer des décors variés pour présenter ses collections, que ce soit des mises en scène aux inspirations figuratives, comme l’intimité d’une chambre — forcément surréaliste car démultipliée dans l’espace — de l’automne-hiver 2017, ou des images beaucoup plus abstraites comme le sol ponctué d’ampoules  de l’automne-hiver 2019.

« Continuous Interior »défilé RAda Automne-Hiver 2017, collections homme & femme, 2017
Photographie par Agostino Osio, avec l'aimable autorisation d'OMA

Giacomo Ardesio ajoute : « Nous avons un serveur qui regroupe nos productions pour chaque défilé et qui agit comme archive, nous nous y référons pour voir ce que nous avons déjà fait. Avant d’investir la Fondation Prada, tous les défilés avaient lieu Via Antonio Fogazzaro, là où sont basés les studios de la maison. Pour être plus exact, cet espace a accueilli les premiers projets d’exposition de la Fondation, avant que celle-ci ne soit finalisée. Aujourd’hui, la situation est inversée puisque c’est l’espace d’exposition qui héberge les défilés ! Cette gymnastique, ces allers-retours reflètent la manière de penser de Prada ». Giacomo Ardesio et Giulio Margheri, sous l’égide d’Ippolito Pestellini Laparelli et de Rem Koolhaas, deux des neuf partenaires de la firme néerlandaise. Le binôme évolue dans les bureaux de Rotterdam et explique : « Notre équipe varie selon les projets, cela nous permet notamment de renouveler nos inspirations. Les discussions autour des défilés ont débuté en 2006, mais à cette époque, le rôle d’AMO se limitait à quelques conseils. La manière dont nous travaillons aujourd’hui a été instaurée par Ippolito quelques années plus tard. C’est lui qui a mis en place la méthodologie appliquée à ces projets. Il y a une procédure à suivre pour chaque nouveau défilé, cependant puisqu’ils diffèrent tous du précédent, notre processus de création n’est jamais linéaire. Tout comme Prada n’est jamais linéaire dans son rapport à la créativité ! » En effet, un regard en arrière permet de voir à quel point la maison italienne aime jouer avec les extrêmes et proposer des décors variés pour présenter ses collections, que ce soit des mises en scène aux inspirations figuratives, comme l’intimité d’une chambre — forcément surréaliste car démultipliée dans l’espace — de l’automne-hiver 2017, ou des images beaucoup plus abstraites comme le sol ponctué d’ampoules de l’automne-hiver 2019. Giacomo Ardesio ajoute : « Nous avons un serveur qui regroupe nos productions pour chaque défilé et qui agit comme archive, nous nous y référons pour voir ce que nous avons déjà fait. Avant d’investir la Fondation Prada, tous les défilés avaient lieu Via Antonio Fogazzaro, là où sont basés les studios de la maison. Pour être plus exact, cet espace a accueilli les premiers projets d’exposition de la Fondation, avant que celle-ci ne soit finalisée. Aujourd’hui, la situation est inversée puisque c’est l’espace d’exposition qui héberge les défilés ! Cette gymnastique, ces allers-retours reflètent  la manière de penser de Prada ».

Présentés chaque saison lors de la semaine  de la mode milanaise, aussi bien lors  des collections femme qu’homme, la mise en œuvre de ces défilés est une course contre la montre.  Giulio Margheri précise : « Nous essayons de respecter un calendrier idéal, durant lequel nous présentons nos idées, attendons les validations, testons les matériaux… Mais ce planning est le plus souvent  là pour nous rappeler que nous manquons de temps ! En général, tout commence avec une réunion  de lancement pour laquelle nous préparons un document avec des idées très différentes. Nous y présentons des concepts et des propositions  de traduction dans l’espace, mais à cette étape, rien n’est très défini.   La relation qu’entretient le décor à la collection n’est pas forcément  en résonance, elle peut être décalée. Si la collection a des inspirations  de science-fiction, le décor ne le sera pas forcément, et inversement.  Nous construisons cet environnement pour un personnage bien particulier, mais nous ne développons pas ce personnage. Nous  n’avons accès qu’à un aspect de l’histoire, si bien que nous découvrons  la cohérence de l’ensemble lors du défilé ». Le rythme des collections étant soumis aux calendriers des différentes fédérations, il dicte  le tempo à suivre et renseigne sur le planning idéal : « Il est difficile de dire précisément quand cette première réunion a lieu, cela varie notamment selon les disponibilités de nos interlocuteurs, mais elle précède le plus souvent le défilé de dix semaines. Lors de cette discussion sont présents Miuccia Prada, ainsi que Fabio Zambernardi, directeur  de la création pour Prada et Miu Miu. Nous essayons d’identifier  tous ensemble un concept, que nous développons généralement  à l’aide de croquis, de photographies extraites de films, ou des images  de référence qui vont de l’art aux urgences contemporaines.  Nous utilisons aussi beaucoup de collages, mais sans vocation à être réalistes. Est également présente l’équipe interne d’ingénierie, avec  qui nous échangeons ensuite plusieurs fois par semaine lors de la mise  en place du projet. » Ardesio précise : « Comme de nombreuses marques, Prada a des architectes au sein de son équipe. Nos échanges sont importants car ils agissent toujours comme des reality check : ils nous aident à matérialiser le concept, en trouvant les meilleures stratégies  pour produire le set. Ils suivent la production à travers les différentes phases du projet. Ils jouent le rôle d’interface avec les constructeurs impliqués dans la mise en œuvre des différents éléments de scénographie. Le fait qu’ils soient basés à Milan et que nous soyons nous même italiens facilite grandement les échanges. »

Les impératifs sont toujours les mêmes et l’équipe doit donc trouver des manières d’y répondre tout en se renouvelant.  Il faut pouvoir gérer environ mille deux cents invitations, entre journalistes, égéries, acheteurs et autres professionnels (environ neuf  cents places assises, les seating, le restant debout, les standing ; un casse- tête spatial et diplomatique). À ces personnes s’ajoutent les photographes  qui vont documenter le défilé, ainsi que l’équipe vidéo qui gère  la captation, de plus en plus souvent retransmise en direct sur Internet. Composer l’espace n’est pas juste une affaire de cases à remplir,  puisqu’il faut également maîtriser le rythme auquel les modèles vont défiler sur le parcours établi, de manière à ce que tout le monde puisse les suivre du regard avec aisance. Pour se rendre compte de la technicité de ce dernier point, il suffit de regarder le final de chaque défilé,  où tout ce jeu de circulation se rejoue et se concentre en l’espace d’une minute, quintessence du spectacle que sont devenues ces présentations. Giacomo Ardesio précise qu’au-delà de ses exigences techniques,  le rôle d’AMO est de proposer une vision singulière : « Pour cela, nous avons différents moyens. Nous pouvons par exemple accentuer certains éléments établis, comme le rapport au premier rang et la hiérarchie traditionnelle des seating. Nous pouvons jouer avec les proportions  et proposer une version maximale de la piste ou une version totalement épurée. Nous pouvons nous baser sur une image qui va définir l’ambiance du défilé et décliner le set autour d’elle. Nous avons beaucoup d’éléments que nous pouvons déformer pour créer une expérience nouvelle. Je crois que ce que Prada et OMA/AMO partagent, c’est ce goût pour le collage, que ce soit des images, des références, des atmosphères. Cela créée des clashs, des moments inattendus . »

La collaboration Prada — AMO se décline dans d’autres champs, puisque les deux compagnies rédigent ensemble le com-muniqué de presse relatif à l’espace du défilé et déterminent le titre. Quelques exemples : « Terrain of light » (automne hiver 2019), « Suspended Ensemble » (resort 2018), « Total Space » (printemps été 2017) ou encore « Indefinite Hangar » (printemps été 2016). L’agence crée également  les campagnes destinées aux réseaux sociaux qui annoncent les défilés. Appelées Premonition, ces courtes vidéos présentent des indices de manière très abstraite de ce qui sera visible sur le défilé et agissent comme des visions. Ces objets digitaux résonnent avec la physicalité des défilés. Ces projets ont une influence directe sur le nombre d’interlocuteurs  en échange avec OMA. Les deux architectes précisent : « Pour tout ce  qui concerne le concept, nous échangeons principalement avec Miuccia Prada et Fabio. En parallèle, nous sommes en contact avec l’équipe interne d’ingénieurs de Prada, mais aussi avec celle en charge du digital  et celle de la communication. Il nous est parfois demandé de réaliser  des visuels qui peuvent être intégrer aux vêtements.

« Indefinite Hangar » défilé Prada, Printemps-Été 2016, collection homme & femme, 2015.
Photographie par Alberto Moncada, avec l'aimable autorisation d'OMA.

Tout dépend du type de projet sur lequel nous travaillons. Nous ne développons pas les lumières, mais sur certains défilés où cette dimension est présente, nous faisons partie de la discussion. La finalisation du set coïncide avec la finalisation de la collection. Lorsque les défilés avaient lieu dans les quartiers généraux de Prada, Via Antonio Fogazzaro, il arrivait que Miuccia Prada passe entre deux essayages pour voir le décor. Cette proximité physique permettait ses visites impromptues, ce qui n’est plus le cas du fait de la distance entre la Fondation et le studio. »

Entre les collections homme, femme et les plus occasionnelles croisière et Miu Miu — AMO ne travaille pas systématiquement sur ces deux dernières —, l’équipe travaille en moyenne sur six défilés par an. La collection homme précède celle de la femme, ce qui fait que certains éléments peuvent se retrouver d’un défilé à l’autre sous certaines variations. L’exemple parfait pour comprendre ce jeu d’influences est sans doute la collection « Prada Warehouse » (homme, automne hiver 2018), présentée dans les hangars de stockage de la maison. Le décor consistait en un dédale de caisses de transports qui venaient rythmer l’espace. En bois, en métal réfléchissant ou cellophané, ces volumes étaient décorés de logos, créés par AMO, détournant l’identité visuelle de la marque. Plus de cinquante visuels ont ainsi été réalisés. Ils ont ensuite été revisités et transformés en enseignes néon pour la collection « Nocturne » (femme, automne hiver 2018) , dont voici le communiqué de presse :

La collection Prada automne/hiver 2018 de prêt-à-porter féminin prend place dans la tour de la Fondation Prada, dont les travaux sont sur le point de s’achever, marquant l’achèvement du complexe situé à Milan et pensé par OMA. Nouveau repère architectural, la tour offre un point de vue unique sur les bâtiments de la ville.

Le décor signé AMO consiste en un simple tracé géométrique de tribunes orientées vers le nord, en direction du centre de Milan, créant un spectacle sophistiqué et un dialogue entre mode, architecture et la ville. Les volumes nets du set sont accentués par une résine à la finition noire qui scintille comme par magie dans la lumière et imite le panorama extérieur nocturne.

En plus d’avoir façonné les espaces intérieurs, AMO est également intervenu sur la vue depuis la tour. La perspective sur le Scalo di Porta Romana et la ville s’enrichit d’imposantes enseignes néon Prada qui renforcent le caractère postindustriel de la région. La manifestation physique de l’évènement au sein d’un paysage urbain customisé réaffirme la relation entre Prada et la ville de ses origines.

Les néons se réfléchissaient à travers les baies vitrées et venaient donc habiller le ciel Milanais, créant un dialogue entre espace intérieur, celui du défilé, et extérieur, celui de la ville. Ces logos se sont retrouvés déclinés sur certains accessoires de la collection et à travers une série de tee-shirts. Visuellement très marquants, ces signes lumineux ponctuent la campagne publicitaire correspondante, intitulée « Prada Neon Dream ». Ainsi, le dialogue créatif entre Prada et OMA/AMO se décline au gré des projets, libre de tout format préétabli, prêt à saisir chaque opportunité à même de fasciner, surprendre et bousculer. Comme tout ballet, nous assistons à un spectacle qui semble évident et qui pourtant, en coulisse, nécessite des heures de travail et de communication, des années d’expériences et une passion certaine. Autour d’une complicité artistique et d’une vision commune rares, Prada et OMA/AMO contribuent à redéfinir ce que sont la mode et ses espaces, et plus globalement, la manière dont l’individu se meut dans le monde qui l’entoure.

« Nocturne » défilé Prada Automne-Hiver 2018, collection femme, 2018.
Photographie par Agostino Osio, avec l'aimable autorisation d'OMA.

Texte par Muriel Stevenson